Le Colonel Mamadi Doumbouya, le putschiste qui nous gouverne, vient de décréter tout seul sans consulter personne, sans même informer son Premier ministre, que dorénavant l’aéroport de Conakry portera le nom du tyran Sékou Touré. Cela s’est toujours passé ainsi dans ce pays sans foi et sans loi que l’on appelle la Guinée : le premier quidam que le hasard projette au sommet du pouvoir, décrète tout et les pluies et les vents et les séismes et les saisons. Il usurpe du képi du bon dieu, il s’arroge droit de vie et de mort sur ses compatriotes. Le comble, c’est que cela n’indigne pas les prêtres et les marabouts, ni ne révolte le bon peuple. Il y a longtemps que notre inénarrable pays est fâché avec la morale et l’éthique.

Dans les conditions actuelles, rien ne permet à notre lieutenant-colonel de prendre une telle décision. Mamadi Doumbouya n’a pas été élu. C’est un simple putschiste. Il n’est ni le président de la République ni le chef de l’Etat. C’est le président du CNRD et par extension, le président de la Transition sauf que cette Transition n’est pas encore configurée : son organe législatif (le CNT) n’est toujours pas formé, sa durée, toujours pas fixée : la liste du CNRD toujours pas publiée.

Cela veut dire que ce décret a été pris en dehors de tout cadre juridique. Cela veut dire que ce décret est illégal. C’est le réflexe despotique propre au système Sékou Touré ; système dans lequel l’Etat n’existe pas en tant que principe, il n’existe qu’en tant que personne, en tant que parti ou en tant que clan. On est en 2022, mon colonel : cette manière préhistorique de voir les choses n’est plus de mise.

Mais ce décret n’est pas qu’hors-la loi, il est aussi hors sujet. Le rôle d’un Président de Transition n’est ni de refonder l’Etat ni d’inaugurer des chrysanthèmes à plus forte raison des ports ou des aéroports. Son rôle, c’est d’expédier les affaires courantes et d’organiser au plus vite des élections libres et transparentes, mission devant laquelle Mamadi Doumbouya a l’air de vouloir se dérober (personne n’a les moyens de ruser avec l’Histoire, mon colonel). Les questions de fond, celles aussi passionnelles et clivantes que le cas  Sékou Touré et les questions engageant l’avenir du pays reviennent de fait à un président démocratiquement élu et à condition qu’il respecte un certain nombre de procédures.

Dans tous les pays du monde, la réconciliation nationale est un sujet délicat qui requiert un minimum de tact, un minimum de pédagogie. Commençons par fustiger le tyran Sékou Touré. Commençons par réhabiliter ses victimes en retrouvant leurs tombes ou plutôt leurs fosses communes. Erigeons des stèles en  leurs noms au Camp Boiro comme au Pont des Pendus. Aidons leurs veuves et leurs orphelins à porter leur deuil. Le reste viendra après.

Ce qui s’est passé au Rwanda et en Afrique du Sud est bien plus grave, bien plus dramatique que ce qui s’est passé en Guinée. Pourtant aujourd’hui, au Rwanda comme en Afrique du Sud, bourreaux et victimes boivent et mangent, chantent et dansent ensemble. Pourquoi ? Parce que là-bas, le travail de mémoire a été fait : les victimes ont été rétablies dans leurs droits et les bourreaux jugés ne serait-ce que symboliquement avant d’être pardonnés. On ne bâtit rien de solide et de durable sans respect pour la vie humaine.

Mais vous me direz qu’au Rwanda comme en Afrique du Sud, c’est l’imagination qui est au pouvoir.

Tierno Monénembo