Le casting intervenu le 5 septembre 2021 a progressivement fait émerger des organes de la transition, tous aussi brillants les uns que les autres. Nos autorités de la transition ont «un incroyable talent». Cette transition-compétition a ceci de particulier que six mois se sont écoulés sans que l’on ne sache quelles sont les règles du jeu. Les acteurs sont tellement brillants que nous sommes soumis à une navigation à vue et une absence de visibilité, une transition sans direction, sans contenu, sans durée ni chronogramme, avec une boussole déjà fortement endommagée.La transition-compétition met aux prises quatre compétiteurs. Et le peuple de Guinée fait office de jury.

Candidat-Président

Le premier candidat et le favori de la transition-compétition, doté de capacités surnaturelles, se trouve être le Président de la transition, Sa Majesté Mamadi Doumbouya 1er. Il se croit omniscient et omnipotent, souhaite diriger tout seul et unilatéralement un pouvoir acquis par les armes, justifie son attitude par le fait qu’il soit allé à la mort en s’emparant du pouvoir. Faut-il simplement rappeler qu’avant lui, le FNDC et les opposants étaient, des années durant, allés à la mort ? Et beaucoup de ces combattants qui ont lutté pour l’avènement de la démocratie en Guinée sont «à la morgue» pour certains, au «cimetière» pour d’autres, a rappelé le coordinateur national du FNDC. Le plus grand talent de ce candidat-Président: l’unilatéralisme et l’ethno-stratégie. Son passe-temps préféré: prendre des décrets.

Un CNRD anonyme

Le deuxième candidat, l’autre favori de la transition-compétition, le CNRD, est doté, lui, de capacités inattendues et surprenantes. Cet «organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays» (comme le définit la Charte de la transition) souhaite gouverner dans l’anonymat. Un comité tapis dans l’ombre, apte à prendre des décisions préjudiciables au pays, telle une mafia, sans jamais se révéler à la lumière du jour. Ce CNRD s’affranchit des lois et n’hésite pas à se substituer à la justice. Il se contente parfois d’exercer simplement une pression sur cette dernière. Il nous fait croire, comme l’énonce l’article 37 de la Charte de la transition qui dispose que le CNRD «est composé des éléments des forces de défense et de sécurité», qu’il comprend toute l’armée guinéenne. Or, le déterminant «des» montre en réalité que cette expression renvoie à un groupe, une partie des FDS. Le plus grand talent du CNRD: la discrétion et l’orgueil. Sa plus grande phobie: la lumière.

Traits communs au Président et au CNRD

Les deux sont nostalgiques des années sombres du régime de Sékou Touré. Ils nous ont promis une transition inclusive mais sont réfractaires au dialogue. Les demandes pressantes des partis politiques en faveur de l’ouverture d’un cadre de dialogue permanent finissent toujours par des tentatives de diversion. Ils nous ont par ailleurs promis que la justice serait la boussole qui guiderait leurs actions. Décidément, cette boussole a perdu le Nord. Leur phobie: le dialogue.

Alors même que le roi Doumbouya 1er invite les Guinéens à «tuer l’ethnie», cette transition érige l’ethno-stratégie en politique de gouvernement. Un simple regard sur les listes des promus à des postes de responsabilité suffit pour s’en convaincre.

Le Gouvernement.

Le troisième candidat est, lui, un simple outsider, écrasé par les deux premiers candidats. Vous l’aurez compris, il s’agit du gouvernement. Il semble un simple paravent pour les militaires. L’entraineur de cette équipe se démarque par son titre de «Premier ministre le plus transparent et le plus effacé du continent». Il se contente de servir de faire-valoir, de sorte à permettre à la junte de mettre en avant un gouvernement civil afin de nous faire avaler plus facilement des couleuvres. Ce Premier ministre semble tellement traumatisé par sa mise à l’écart dans le processus qui a permis de renommer l’aéroport de Conakry du nom de Sékou Touré, qu’il n’ose plus manifester aucun désaccord envers le CNRD.  

Son équipe se trouve être des ministres Sènè-sâmô («ministres-riziculteurs»). Chaque ministre est invité par Sa Majesté Mamadi Doumbouya 1er à mettre en valeur 50 hectares pour la culture du riz. Mieux encore, les FAPA (Fermes agropastorales d’arrondissements) ou faux pas, en vigueur sous Sékou Touré, vont être ressuscitées par ce gouvernement. Des pratiques communistes obsolètes. Même les Russes ont abandonné de telles démarches centralisées. Le principal talent de ce gouvernement: des ministres godillot, des béni oui-oui.

Le CNT

Enfin, le moins prestigieux de la compétition-transition est le Conseil national de la transition (CNT). Sélectionnés en fonction de leur compatibilité avec la junte militaire, ces conseillers reviennent d’une tournée inutile à l’intérieur du pays sur ordre des deux favoris. Cet organe n’a même pas la maitrise de son propre calendrier de travail selon les dispositions de l’article 69 de la Charte de la transition. Il est complètement soumis aux trois autres organes de la transition et ne peut contrôler l’action d’aucun des trois autres candidats, contrairement aux pratiques démocratiques. Comme contre-pouvoir, on peut trouver mieux.

Ce candidat législateur censé représenter le peuple prend goût au travail opaque, en tenant ses premières plénières à huis clos. Sans la publicité des débats, il cesse d’être véritablement démocratique. Ce n’est pas un simple hasard si la «séance plénière» est aussi appelée «séance publique»: le travail d’un organe législatif doit se faire au vu et au su de tous. Son plus grand talent: absence totale de légitimité, copinage et soumission.

Traits communs

Ensemble, les incroyables talents de ces autorités de la transition ont conduit à faire prévaloir les crimes économiques et financiers sur les crimes de sang. Eh, oui ! Priorité aux crimes économiques et financiers et silence radio sur les crimes de sang. Un talent à ce point exceptionnel qu’il est inhumain et inacceptable. La CRIEF est justement créée pour matérialiser cette hiérarchie dès lors qu’aucune juridiction spéciale n’est mise en place pour traiter des nombreux crimes de sang. Mais quelle légitimité et quelle crédibilité accorder aux poursuites de la CRIEF si les premiers responsables de la gabegie financière dénoncée par le roi Mamadi Doumbouya 1er dans la justification du casting-coup d’État restent en liberté ?  Comme le dit justement Foniké Menguè «Si Kassory ne va pas en prison, c’est que cette affaire de boussole est une arnaque». Il convient de rappeler que tout citoyen doit bénéficier de la présomption d’innocence et en même temps le subconscient de la majorité des Guinéens révèle qu’une lutte sérieuse contre la corruption devrait commencer par les caciques du régime d’Alpha Condé, avant de s’élargir aux régimes qui l’ont précédé. L’inverse démentit les motivations du putsch sur la question de lutte contre la corruption.

Finale et trophée

La finale de la transition-compétition n’étant pas encore programmée, les récompenses sont quant à elles déjà connues. A compétition exceptionnelle, récompense exceptionnelle. Les candidats recevront deux catégories de médailles: la médaille-bâtisseurs ou la médaille-fossoyeurs. La finale de la compétition-transition a ceci de particulier que le peuple-jury déclare soit tous les candidats gagnants, soit tous perdants.

Les incroyables talents de nos autorités de transition leur permettront-ils de s’attirer la sympathie du peuple-jury, de rentrer dans l’histoire du pays par la grande porte avec la médaille-bâtisseurs ? Ou au contraire, cette médaille-fossoyeurs peu enviable qui tend déjà la main à nos quatre candidats sera-t-elle la seule méritée à la fin ? En s’engageant dans une aventure de six mois déjà sans aucune précision sur la direction, le contenu, la durée, il faut reconnaitre que c’est plutôt la Guinée tout entière qui a un «incroyable talent».

G.B (Le Jour-La Nuit)