Après le referendum de 2001 sous le Général Lansana Conté, la Guinée s’engouffra dans une double crise institutionnelle et de légitimité pour les gouvernants d’alors. Conséquence immédiate, le boycott de l’élection présidentielle de 2003 par tous les partis représentatifs ; une élection qui sera d’ailleurs remportée à plus de 90% des voix par le Général Lansana Conté et son parti, le Parti de l’Unité et du Progrès (PUP), face à un certain Bhoye Barry, candidat fabriqué de toutes pièces pour la circonstance. Plus tard, la parodie des élections communales de 2005 : le PUP bat l’UPR à Labé et le RPG, à Siguiri.
Ce referendum constitutionnel de 2001 a rajouté un sérieux brin d’autocratie à la gestion patrimoniale du pouvoir. Il consacre en effet le septennat et l’instauration du mandat illimité avec une personnalisation du pouvoir. C’est le ‘’Koudéisme’’ (l’éternité) avec son corollaire de gabegie financière, de corruption, et autres. Conscient de la maladie du Président Conté, l’entourage se lança dans une guerre fratricide et clanique au sommet de l’Etat pour la succession. Le pouvoir se disputait entre clans rivaux inconciliables. Apparaît une décadence de l’Etat affectant tous les aspects de la vie nationale. Le Président Conté fut réélu en 2003, à l’issue d’un scrutin au cours duquel on pouvait apercevoir le Général-candidat entrain de voter à bord de son véhicule, les pieds étalés sur le tableau de bord à l’image du Président algérien, Abdel Aziz Boutéflika. La manière de voter en disait long sur son état de santé très fragile.
Vraisemblablement, la situation quasi explosive de l’époque a favorisé les convulsions sociales et politiques, elles-mêmes occasionnées par une inflation galopante, une insécurité chronique, une baisse drastique du pouvoir d’achat des citoyens qui ne parvenaient plus à gagner, pour la plupart, le pain quotidien. La nomination au forceps d’un Premier Ministre, Chef du Gouvernement, en 2007, premier du genre sous l’ère Conté, précisons-le, n’aura pas permis de redresser la barre telle qu’espéré par le vieux Général depuis son habitacle.
Des revendications portées au départ par l’intersyndical CNTG-USTG, sont très rapidement devenues celles de toutes les composantes de la Nation avec pour leitmotiv le ‘’changement’’.
Ainsi, au décès du Général, une transition civilo-militaire s’ouvre aussitôt à quelques heures de l’annonce officielle de sa disparition dans la nuit du 22 décembre 2008, marquant la fin de l’ère Conté et l’arrivée au pouvoir du CNDD avec le Capitaine Moussa Dadis Camara comme président dans un premier temps et puis avec le Général Sékouba Konaté dans un second temps.
Après plusieurs soubresauts, advinrent les accords dits de Ouagadougou sous la médiation du Blaise Compaoré, (ex Président du Burkina Faso), la transition prend une allure normale avec la planification des actions dans une feuille de route consensuelle entre le CNDD et les acteurs sociopolitiques réunis au sein des forces vives de la Nation, pour le retour à l’ordre constitutionnel sur la base d’un chronogramme défini dans le temps. Bien que conscients des problèmes structurels de notre pays, après 52 ans d’indépendance des présidents Sékou Touré et Lansana Conté, les acteurs sociopolitiques ont souscrit à l’idée de ne rendre prioritaires que les actions qui mènent à l’instauration de la démocratie véritable à l’issue d’élections crédibles et transparentes. Il faut dire que le respect de ces accords par l’ensemble des acteurs fut effectif avec mention spéciale pour le Général Sékouba Konaté qui a tenu parole ; ce, malgré les tentations de tout genre. On se rend bien compte du gigantesque chantier de la restauration d’un Etat véritable à travers le parachèvement de la transition avec le nouveau Président élu.
L’élection d’Alpha Condé intervient donc dans un contexte où la Refondation de l’Etat constitue le premier véritable défi. C’est d’ailleurs ce qui explique en bon droit sa phrase restée célèbre aux premières heures de sa gouvernance : «J’ai hérité d’un pays, non d’un Etat», en référence à un pays devenu anachronique dans tous les secteurs : économie en lambeaux, Forces de Défense et de Sécurité déstructurées, Administration Publique évanescente, services sociaux de base quasi nuls…
Après un peu plus de dix ans de gouvernance, pouvons-nous nous estimer être sortis de la transition pendant qu’on parle encore de Refondation de l’Etat et de rectification institutionnelle ? La question a tout son pesant d’or. Si l’on admet les arguments avancés par les militaires au pouvoir depuis le 05 septembre 2021, on pourrait répondre par la négative. En réalité, sortir de la transition suppose la mise en place d’institutions adaptées à notre modèle démocratique, elles-mêmes adossées aux valeurs sociétales de nos différentes communautés. Plus important encore, il faut s’assurer de leur plein fonctionnement et surtout de leur stabilité dans le temps et dans l’espace. Nous pouvons donc conclure que le processus de transition dans notre pays, au-delà d’une simple élection en 2010, avait bien d’autres défis qui demeurent encore. Je parle bien de réformes institutionnelles adaptées, de culture démocratique renforcée, conditions de tout développement économique.
Suite aux évènements du 05 septembre 2021, notre pays fait face à la fois à de nouveaux défis de transitions politique et démocratique, dans un contexte que l’on pourrait qualifier d’échec de l’élite politique et intellectuelle. Cette responsabilité collective devrait amener chacun des acteurs à faire preuve de retenue en vue de travailler suivant un agenda pertinent pour la République. Cela suppose de l’engagement, de la concertation et du temps.
Je voudrais également faire remarquer aux autorités de la transition que le consensus, le compromis n’est nullement une compromission ; il est d’autant plus important de savoir que nous vivions dans une société marquée par des rancœurs et des souvenirs douloureux, la crise de confiance et les suspicions les plus farfelues qui empêchent la lucidité dans la réflexion et donc, proies faciles à la manipulation, c’est pourquoi elles devraient agir sans acrimonie aucune. Si l’on admet volontiers que la transition est une période de rupture de la légalité constitutionnelle, il est tout aussi pertinent de se demander si une transition consiste urbi et orbi à la mise en place de mécanismes appropriés pour le retour à l’ordre normal des choses. Ou alors, peut-on convenir d’un contenu au-delà du schéma classique dans une dynamique de remise en question, en vue de repenser notre vivre ensemble, notre modèle de société, bref, de notre res-publica ?
Pour le sens commun, une transition est une période de rupture constitutionnelle qui se caractérise par l’irruption dans la gestion de l’Etat de dirigeants non élus, n’ayant pas l’onction du peuple comme le veut la démocratie. Ils tirent cependant leur légitimité de la crise de gouvernance des autorités antérieures qui tombent en disgrâce sous la pression de la rue ou par la force (groupes militaires). Dans l’un ou l’autre des cas, les forces militaires interviennent.
L’option de la transition qu’elle soit considérée sous l’angle d’un processus unique par lequel on doit rétablir l’ordre constitutionnel, ou comme période de rectification d’une ‘’gouvernance mal assurée’’ dit-on souvent, dépend des époques, des contextes, de la volonté des parties prenantes ; autorités transitoires et acteurs sociopolitiques. Depuis toujours, la communauté internationale utilise un triptyque pour la gestion des transitions, y comprises celles consécutives à une guerre civile : création d’un gouvernement transitoire, organisation des élections, la préservation de la paix et de la sécurité. Selon les cas, ce troisième élément fait appel à l’intervention d’une force de maintien de la paix. (On se souvient qu’en 2009 pendant la transition sous le Capitaine Dadis Camara, les Forces Vives de la Nation (FVN) avaient sollicité l’intervention d’une force d’interposition (FI) pour, disaient-elles, assurer la sécurité des populations au regard de l’insécurité qui régnait dans le pays).
Selon Mathilde Tarif et Thierry Vircoulon, dans une étude réalisée sur trois pays, Mali, Centrafrique et Somalie, les transitions politiques se caractérisent par l’échec des autorités à mener à leur terme des programmes surréalistes et s’achèvent par des élections précipitées et de très médiocres qualités. Selon la même étude, les transitions sont des moments d’ultra dépendance du pays : alors que les institutions étatiques sont déliquescentes, l’économie de l’Etat exsangue, les périodes de transitions sont caractérisées par la mise sous perfusion de l’Etat par la communauté internationale. Les techniques de survie artificielle que la Communauté Internationale applique pour sauver l’Etat en crise sont entre autres:
sécuriser les autorités de la transition, à défaut de pouvoir sécuriser les populations,
injecter des fonds pour couvrir les dépenses essentielles de l’Etat…fournir des services de base (Eau, Santé, Education…).
Pour ces auteurs, les transitions sont un moment de rivalité entre les acteurs à la fois de la communauté nationale et internationale et des moments de «court terme politiques. »
De toute évidence, l’enthousiasme et les bonnes intentions qui caractérisent les autorités d’une transition sont souvent très loin de la réalité et peuvent être même des sources d’enlisement de la crise consécutive à la rupture de la légalité constitutionnelle. Ainsi, il est difficile d’assimiler la période de transition à des moments de construction de l’unité nationale, de redressement de la sécurité, de refondation de l’Etat, de la relance du développement, et dans une moindre mesure de lutte contre les détournements de deniers publics car, les risques de persistance et d’amplification de la corruption restent très élevés.
Pour revenir en Guinée, il semble plausible que notre transition ne soit pas un cas atypique. Le retour rapide à l’ordre constitutionnel clamé à cor et à cri par la classe politique et la CEDEAO, est perçu par beaucoup d’observateurs comme un processus de « réinstallation au pouvoir de dirigeants impliqués à tort ou à raison dans les errances du passé, donc à l’encontre du changement de gouvernance dont le pays a tragiquement besoin.» Les politiciens d’antan font leur retour par les urnes et ont donc l’onction de la démocratie (quelle que soit la qualité du processus électoral). Il faut s’empresser de dire qu’il appartient au peuple, et à lui seul, de sanctionner un citoyen qui prétendrait conduire sa destinée. Aussi, il appartient aux autorités transitoires de créer un environnement propice à l’organisation de bonnes élections.
Cependant, si celles-ci tirent leur légitimité de la crise de gouvernance des autorités antérieures, sa stabilité et l’atteinte de ses objectifs dépendent de la conception et de la mise en œuvre de la feuille de route devant permettre la restauration de la démocratie et l’Etat de droit dans un esprit de partage et non de mépris. La transition en cours dans notre pays doit se faire autour « d’un consensus responsable dénué de toute compromission.»
En effet, l’agenda de la transition tel que défini par les autorités n’aurait pas soulevé autant de controverses au point de nous amener à retomber dans la spirale de violence à l’image des manifestations violentes dont l’appel a été fait par certains acteurs de la société civile appuyés par des partis politiques le 28 juillet passé, entrainant malheureusement, en plus du vandalisme en tous genres et des pertes en vies humaines. En tout état de cause, si cette transition se doit uniquement de rétablir l’ordre constitutionnel, il faut conclure qu’elle n’en valait pas la peine…
Au-delà des caricatures et du déni sur la gouvernance précédente, la Guinée affichait le 05 septembre 2021, une performance économique reconnue par toutes les institutions internationales, dans un contexte de crise sanitaire mondiale. Par ailleurs, faire un trop plein de contenu souvent irréaliste et peu pertinent au regard du contexte défavorable, consisterait à donner des arguments faciles à ceux qui se complaisent dans la compromission perpétuelle et le business politique préjudiciable à la réalisation du bien-être de tous au sein de la République.
Si notre transition doit s’inscrire au-delà du schéma classique, dans la perspective d’éradiquer les maux qui ont gangréné notre pays les décennies antérieures, les objectifs doivent être clairement définis et largement partagés avec l’ensemble des parties prenantes, et ce, pour éviter les approximations et les procès d’intentions. A ce niveau, on n’a pas à tergiverser si les règles sont bonnes pour Paul et mauvaises pour Pierre, elles doivent s’imposer à tous et à toutes de la même manière et nul ne devrait se prévaloir de son statut présent ou passé pour se soustraire des principes édictés. Pas d’agenda personnel… comme d’ailleurs lancé par le Président du CNRD, lors des consultations d’avec les forces vives !
La refondation de l’Etat et la moralisation de la vie publique constituent deux objectifs dont la mise en œuvre a des répercussions sur l’ensemble de la transition en ce sens que plusieurs acteurs de la classe politique sont des anciens gestionnaires de l’Etat, donc soumis au principe de la reddition des comptes incarné par la CRIEF, ils devraient tous y souscrire avec une justice équitable. Quant à la refondation, elle suppose en premier lieu l’écriture d’une Constitution et des Lois Organiques nécessaires à la mise en place de notre idéal de société.
Aussi, la moralisation de la vie publique, la lutte contre les détournements de deniers publics et l’impunité, ainsi que la restauration de l’autorité de l’Etat sont des mesures phares dans cette perspective. Leur mise en œuvre ne devrait faire l’objet d’une quelconque interprétation tendancieuse ni d’aucune manipulation, personne ne devrait s’en plaindre. A l’heure de la moralisation, l’élite du pays, surtout celle qui aspire à gouverner, doit se soumettre à cet exercice difficile mais exaltant pour tout le monde. Cependant la démarche doit se faire dans les règles de l’art et n’obéir qu’au seul principe du droit.
Le nécessaire dialogue inter guinéen doit s’ouvrir pour le bien de tous ; il sera basé sur la vision refondatrice de l’Etat prônée par le Président de la Transition.
Ainsi, chaque acteur doit faire preuve d’exemplarité dans sa démarche de tous les jours, nul ne devrait prétendre disposer du monopole de légitimité qui est d’ailleurs disparate en ces temps.
En définitive, notre transition doit se faire au seul bénéfice de la Guinée. L’organisation des élections n’est qu’une étape de la résolution de la crise. Les différents acteurs doivent se rendre à l’évidence de la réalité de notre pays dans un élan patriotique à travers une rétrospective des expériences antérieures et de remâcher nos méthodes pour éviter les effets pervers du passé. Il faut, pour ce faire :
- éviter de s’imposer un cadre temporel de course contre la montre ;
- instaurer un partenariat clair entre tous les acteurs et sortir du mépris, de l’arrogance, de l’arbitraire et de la violence de part et d’autre
- revoir à la baisse les ambitions de la transition, sortant ainsi du jeu des mensonges politiques et la psychose de la défiance qui prévalent à présent. Nous parviendrons ensemble à restaurer la sérénité et la confiance pour notre pays, tout en assumant vis-à-vis de la communauté internationale notre maturité et notre capacité à pouvoir trouver des solutions à nos problèmes en tant que peuple mur, sans avoir besoin fondamentalement de médiation internationale même si nous croyons fermement à notre appartenance à un monde interdépendant.
- Cette transition enfin, doit ouvrir la voie à une transition démocratique durable et irréversible pour donner des raisons de rêver aux générations futures dans un pays béni par la nature et par Dieu.
SK