Vous vous souvenez certainement du mythe de Sisyphe. «Dans la mythologie grecque, Sisyphe tient une place choyée. Il a par ailleurs la réputation d’être futé, rusé. A l’époque où les Dieux décidaient du destin des hommes, l’impertinent Sisyphe fut condamné dans les enfers, à un supplice de choix : il devait rouler un gros rocher au sommet d’une montagne, besogne éternelle puisque le caillou dévalait immédiatement la pente une fois en haut» . Contemplons notre bled dans le rétroviseur de notre tacot et nous aurons, à n’en pas douter, le sentiment de vivre la réincarnation du mythe sisyphéen. Voyons ! La décennie 50 est, dans l’empire colonial français, celle de l’euphorie nationaliste traversée, par moments, par des houles, des turbulences. Revenu aux affaires en Métropole, en mai 1958, à la faveur de la guerre d’Algérie, le Général Charles de Gaulle soumet un projet de constitution qui dévolue des pouvoirs forts à l’exécutif, notamment au Président de la république. Il saisit l’opportunité pour dépoussiérer, détricoter et rénover les rapports entre la France et ses colonies.
La Guinée acquise au PDG-RDA et à son leader, Touré Sékou, « un jeune homme pressé » préférant la pauvreté dans l’indépendance à l’opulence dans l’esclavage, devient du jour au lendemain, un Etat souverain. Et c’est la descente aux enfers pour les Guinéens ! Une descente aux enfers qui va durer un quart de siècle et entraîner des dizaines de morts, des milliers de prisonniers, des millions d’exilés sur fond de paupérisation.
La disparition en 1984 de Sékou Tyran et de sa révolution vorace de Guinéens, met fin au drame du bled et de ses habitants. Les pauvres hères sont délivrés de la corvée des normes. Une ère nouvelle émerge, un air nouveau souffle. Suranné, le régime socialo-collectiviste cède au libéralisme économique et politique qui promeut les initiatives privées et la démocratie pluraliste. Les Guinéens jubilent. Mais les voilà déjà dans la vallée avec leur caillou qui y a rapidement dévalé. Il faut le remonter. Les embûches ne sont plus les mêmes et requièrent des sacrifices moins cruels, plus soutenables. Dans la conquête et la conservation du pouvoir qui oppose les partis politiques nés en 1992, le parti au pouvoir ruse et use de tous les stratagèmes pour vaincre les autres, lors de pseudos élections remportées toujours par ceux qui les organisent. Cette période qui s’étire quasiment aussi sur un quart de siècle est émaillée de gestes et de propos d’intimidation et d’arrestations de militants et de responsables de l’opposition dans un environnement socioéconomique d’affaissement drastique du pouvoir d’achat des Guinéens, en particulier des pauvres hères. Si la mauvaise gouvernance s’empire, la culture démocratique s’enracine peu à peu, inexorablement dans les mœurs.
A la fin de la courte période de transition qui suit la mort du président Lansana Conté, en décembre 2008, les Guinéens ont naïvement crû être bientôt allégés des affres de Sisyphe. Que Nenni ! Le gouvernement de la Transition organise l’élection présidentielle en juin 2010. Globalement, le premier tour est positivement apprécié par l’ensemble des parties prenantes. Malheureusement, les conditions désastreuses d’organisation du second tour en novembre 2010 décrédibilise tout le processus et entachent la légitimité de l’élu, en l’occurrence Alpha Grimpeur. Et revoilà les Guinéens, la larme à l’œil, autour du caillou, dans la vallée, au pied de la montagne.
Contre toute attente, le nouvel élu, «opposant historique», ancien président de la Féanf qui prétend avoir lutté 40 ans durant pour la promotion de la démocratie, multiplie les subterfuges pour éliminer ses adversaires politiques ou les rendre atones. Le processus électoral est biaisé, galvaudé : fichier électoral chargé d’inexactitudes, CENI aux ordres de Sékhoutouréya, administration territoriale partiale, élections non organisées à date. Pire, Alpha Grimpeur s’engouffre dans le labyrinthe suicidaire du 3ème mandat présidentiel, en 2020. Si l’opposition des populations est vigoureuse et tenace, la répression des manifestations est cruelle.
L’environnement délétère qui en découle facilite le renversement du Grimpeur le 05 septembre 2021, et l’ouverture d’une 3ème transition, sous la férule du CNRD présidé par le Colonel Mamadi Doum-bouillant. Et encore une fois, comme Sisyphe, les Guinéens redescendent dans la vallée, chercher le bloc de pierre et le rouler jusqu’au sommet du mont. Les premiers obstacles sont déjà là : gestion solitaire de la Transition par la junte, absence de cadre permanent de dialogue inclusif, harcèlement des leaders politiques, menace des libertés et des droits des citoyens. Excusez du peu ! Quand la Guinée vaincra-t-elle le signe indien ?
Abraham Kayoko Doré