Le Forum des forces sociales de Guinée n’est pas d’accord avec la conduite de la transition par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD). Il ne le cache plus. Le 18 janvier à la Maison de la presse, des responsables de cette structure ont bavardé sur le chemin solitaire emprunté par la junte pendant cette période d’exception.

Le CNRD, en totale contradiction avec la majeure partie des acteurs sociopolitiques, a organisé un dialogue dit inclusif entre novembre et décembre 2022. Histoire de régler définitivement la crise politique ou de légitimer le chemin qu’il s’est déjà tracé pour mener le bled à un retour à l’ordre constitutionnel ? L’attitude du CNRD ne fait pas en tout cas que des heureux. Son bras de fer avec des entités comme l’ANAD, le FNDC, le FNDC-politique, le RPG arc-en-ciel, est loin de connaitre son épilogue, la junte fait déjà face à un autre Front : le Forum des forces sociales de Guinée (FFSG). Cette plateforme avait boudé le dialogue piloté la Mal-kalé Traoré et compagnie, arguant que les termes de référence n’étaient pas clairs. Le Forum des forces sociales veut des réponses sur bien des actions menées par les nouvelles autorités qui, à ses yeux, ne correspondraient pas aux promesses prises au lendemain du coup de force du 5 septembre 2021. Les responsables du FFSG se demandent même si le CNRD ne serait pas en train de faire le contraire de ce qu’il avait promis, du moins pour ce qui est de la moralisation de la vie publique : «Cette lutte contre la corruption et pour la moralisation de la gestion publique a fini par créer une forte déception chez les Guinéens. Elle laisse penser à un mécanisme de débrayage politique et d’intimidation d’anciens cadres de l’Etat qui constitueraient d’obstacles aux agendas du CNRD dans les privilèges du pouvoir », déclare Abdoul Sacko, Coordinateur du Forum. Il s’interroge aujourd’hui sur la pertinence des poursuites judiciaires enclenchées contre les anciens dignitaires de l’Alphagouvernance et des poids lourds de la vie politique guinéenne par le parquet spécial près la CRIEF : « Nous nous interrogeons sur des dossiers couverts par la CRIEF en raison de ciblage subjectif de Guinéens, généralement politiques, menant à des détentions provisoires prolongées et des exils forcés comme règle, sans réunir au préalable la moindre preuve sur leur culpabilité dans le respect des lois et des droits. Sur la récupération ou la destruction ciblée d’édifices (patrimoines) considérés comme appartenant à l’Etat, des mains de tiers, sans aucune procédure respectant les lois de la République».

Refondation de l’Etat, de la poudre aux yeux ?

Dans son discours de prise du pouvoir le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya a promis d’ériger la justice en boussole, de faire de la refondation de l’Etat son cheval de bataille. Sauf que le populo attend encore la matérialisation de ces expressions. Abdoul Sacko craint que le CNRD ne les utilise que pour s’accrocher au pouvoir : «Le concept de ‘’Refondation’’ signifie quoi en termes de réformes et d’innovations qu’une transition puisse faire, lorsque le CNRD reste toujours incapable, après plus d’une année et demie, de donner un contenu objectif, réaliste et réalisable à son discours de refondation ? S’agirait-il simplement de discours politiciens justifiant une durée prolongée du CNRD au pouvoir ?»

Quid de la charte de la transition ?

Au tout début de la transition, la junte a présenté une Charte censée jouer le rôle de la Constitution suspendue. Acteurs politiques et membres de la société civile l’ont adoubé sans poser trop de questions sur les conditions de son écriture. Elle prévoyait, entre autres, le dialogue entre les autorités et les acteurs concernés par le processus transitoire, en théorie, garantissait les droits et libertés fondamentaux. Mais entre les dispositions de cette Charte et la réalité sur le terrain, il y a un grand fossé. Ibrahima Balaya Diallo dénonce : « 31 dispositions de ladite Charte ont fait objet de violation flagrante et manifeste par les responsables des organes de la Transition prescrits à l’article 36 de ladite Charte. A cela, s’ajoute la violation de l’ordonnance N°001 /2021 du 16 septembre 2021, portant prorogation des lois nationales, conventions, accords et traités régulièrement approuvés par la République de Guinée, ainsi que plusieurs articles du Code Pénal de Guinée de novembre 2016 ». Il fait notamment cas de l’interdiction « sans fondement » des manifestations publiques décidées depuis des mois par le CNRD.

Dialogue ou monologue ?

Le Forum des forces sociales de Guinée, à l’image de bien d’autres entités majeures, a boudé le cadre du dialogue dit inclusif. Il n’a pas voulu s’associer à ses travaux, dit-il, parce que les conditions n’étaient pas réunies. C’est pourquoi, le FFSG exige un dialogue uniquement entre eux et les autorités de la transition. Sauf que pour le ministre porte-voix du goubernement, Ousmane Gaoual Diallo, le dialogue est derrière les autorités de la Transition. Le syndicaleux membre du FFSSG, Boubacar Biro Diallo, estime que le goubernement de la transition est en train de les narguer : « Le dialogue pour la recherche d’un consensus autour du contenu et de la durée de la transition…n’a jamais été une préoccupation des organes de la transition, mais un simple stratagème pour gagner en temps et anéantir les acteurs sociopolitiques et les partenaires qui aspirent à un retour à l’ordre constitutionnel».

Pour une sortie de crise, le FFSG recommande au CNRD, notamment, l’organisation d’un dialogue tel que voulu par la CEDEAO, le respect strict de la Charte de la transition, la séparation systématique de la question du fichier électoral et celui du recensement administratif à vocation d’état-civil, le transfert de l’organisation de toutes les élections à un Organe de gestion des élections (OGE) consensuel, indépendant, utilisant l’expertise des Nations-Unies, de l’OIF et des autres partenaires techniques et financiers. Vaste programme !

Yacine Diallo