L’ancien président de l’Assemblée nationale, dont la libération a été ordonnée depuis le 9 octobre par la Cour de répression des infractions économiques et financières, fait face à la farouche opposition du procureur spécial Aly Touré qui a relevé appel. Avant d’être victime de la grève des avocats empêchant l’examen du recours le mardi 31 octobre.

Le 26 avril 2022 au soir, Amadou Damaro Camara reçoit un coup de fil du colonel Sangaré de la Direction des investigations judiciaire de la gendarmerie pour qu’il vienne le lendemain signer les PV de ses déclarations faites précédemment. Les deux s’étaient séparés dans un climat bon enfant, avec les félicitations des gendarmes enquêteurs qu’il avait réussi à convaincre sur l’utilisation des 15 milliards de francs guinéens alloués à l’Assemblée nationale, objet de ses ennuis judiciaires.  

En retournant à la gendarmerie le matin du 27 avril donc, le dernier président du Parlement de l’ère Alpha Condé était loin d’imaginer qu’il fonçait tout droit en prison. Malgré la mise en garde d’un de ses fils vivant à Paris : « Il m’a dit avoir écouté sur FIM FM que les ministres vont rentrer à la maison, mais le gros poisson sera déposé à la Maison centrale qu’on est même en train de peindre », a relaté Amadou Damaro Camara lors de sa première comparution à la barre de la Crief (Cour de répression des infractions économiques et financières), le 9 octobre dernier.  

La gendarmerie le déférera au parquet de la Crief vers 11h, le 27 avril 2022. Installé sur une chaise dans le couloir, en plein mois de ramadan, ce n’est qu’à minuit et demi qu’on l’aurait appelé « pour me dire que l’audience est ouverte. Vers 1h, on m’a emmené à la Maison centrale », poursuit-il. Depuis, il se bat pour recouvrer sa liberté. En vain. Au terme de l’audience du 9 octobre, le juge la lui avait accordée, après que le prévenu a justifié l’utilisation des 15 milliards litigieux. Mais sans surprise, le procureur spécial près la Crief Aly Touré s’est opposé pour la énième fois à l’exécution de la mesure, en relevant appel. 

Victime collatérale

Le recours devait être examiné ce mardi 31 octobre par la Chambre des appels de la Cour de répression des infractions économiques et financières. Mais l’audience n’a pu se tenir, les avocats étant en grève jusqu’au 13 novembre, en réaction à une gifle infligée à l’un des leurs par Almamy Sékou Camara, procureur de la République par intérim près le tribunal de première instance de Coyah. Paralyser la justice pendant deux semaines pour cet incident, aussi déplorable et condamnable soit-il, n’est pas sans critique. Déjà, les magistrats ont pris pour habitude de fermer cours et tribunaux à chaque fois qu’il y a un décès dans leur rang. Il faut qu’à un moment arrêter d’arrêter le cours normal d’un pays de 13 millions d’âme pour le problème ou les intérêts de quelques-uns. Un deuil national, ça ne se décrète pas tous les jours.

Ainsi donc Damaro est victime collatérale de la grève des avocats, qui auraient pu se contenter de porter plainte contre le procureur indélicat. Au pire, une journée sans plaidoirie aurait suffisamment traduit l’étendue de leur colère. Surtout qu’ils rentrent de deux mois de vacances judiciaires. Même s’il ne faut toutefois pas se leurrer : l’examen de l’appel contre la libération de Damaro ne signifie nullement une sortie de prison, même s’il arrivait à l’emporter. Aly Touré ne s’incline presque jamais. Depuis le 16 octobre, la Cour de justice de la Cedeao a ordonné la libération de l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, ainsi que des ex-ministres Mohamed Diané et Oyé Guilavogui. Une décision définitive, puisqu’insusceptible de recours, mais toujours pas exécutée. Oyé Guilavogui a d’ailleurs été hospitalisé d’urgence ce lundi, sous bonne escorte.

Retour à la barre en novembre

Devant l’absence des avocats grévistes, le juge des appels a renvoyé l’audience au 7 novembre. Sans que rien ne garantisse qu’à ce jour la grève de deux semaines aura été levée. Au fond, la procédure pour « détournement de deniers publics, enrichissement illicite, blanchiment de capitaux, corruption dans le secteur public et privé, prise illégale d’intérêts et complicité » connaîtra sa deuxième audience le 16 novembre. La première avait été consacrée à l’audition de l’ancien président de l’Assemblée nationale. A l’occasion, il avait expliqué que les 15 milliards de francs guinéens avaient servi à viabiliser, sur le centre directionnel de Koloma (commune de Ratoma), le site devant abriter le futur siège du Parlement. Un don de la Chine pour un coût estimé à 40 millions de francs. Dans les détails, Amadou Damaro Camara a précisé avoir financé le déploiement par EDG d’une ligne électrique spéciale et l’adduction d’eau de la SEG sur le site, à la demande du partenaire chinois. Respectivement pour 750 millions et 350 millions de francs. A cela s’ajoute le coût de la construction de la clôture de sécurité du site, pour 1, 8 milliard payés, sur 2 milliards de francs. Soit un total arrondi à 3 milliards par le prévenu. Des copies des chèques de tous ces paiements auraient été remises à la gendarmerie.

Le 20 août 2021, alors que les députés étaient en vacances, Alpha Condé aurait convoqué une session extraordinaire pour voter la Loi des finances rectificatives et d’autres conventions. Six milliards auraient ainsi été prélevés pour payer les primes de ladite session. Une copie d’émargement des députés également remise aux enquêteurs en ferait foi. Un solde des 6 milliards restants était sur le compte de l’Assemblée nationale domiciliée à la Banque centrale lorsque survenait le putsch du 5 septembre 2021, selon Damaro qui rassure : « Je n’ai pas partagé cet argent à des amis ».

Hormis le détournement allégué de ce montant, l’accusation le dit détenteur d’une mine (d’or sûrement, il n’a pas précisé la nature) à Mandiana, actionnaire « important » à Ecobank. Le prévenu rétorque en faire volontiers cadeau au parquet spécial, si tel est le cas. Pourvu qu’il ne soit pas empoisonné.  

Diawo Labboyah Barry