L’apathie observée après l’enlèvement de deux activistes de la société civile, Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, interroge pour pas dire indigne. Il y a ceux qui se disent que les deux duos se sont sacrifiés pour un peuple résigné. Oubliant, janvier et février 2007 et septembre 2009. Il y a ceux pour qui la Guinée, verre à moitié plein, se disent que le Printemps arabe ou le spectre du bidon d’essence, cette hantise des dirigeants du monde arabo-musulman, s’inspire des contestations guinée-haines.
Avec Janvier et Février 2007, on a eu la cohabitation entre deux Lansana. Tandis que septembre 2009 a donné un civil au palais présidentiel après 24 ans de règne sans partage du kaki. Dire que le peuple de Guinée est résigné, c’est faire une insulte à toutes les victimes de la contestation de ces trente dernières années.
Ce n’est pas le Guinéen qui a abdiqué. C’est le contexte et les hommes qui ont changé. Que s’est-il donc passé depuis 17 ans ? Comment expliquer que ceux qui ont donné du grain à moudre à deux officiers hier soient si soumis à un autre aujourd’hui ?
En 2007, en 2009, il y avait des hommes, et surtout une femme (dans le premier cas), décidés de rendre au peuple sa souveraineté. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Et c’est là qu’il faut trouver l’une des raisons des déboires d’Oumar Sylla Foniké Mengué et Billo Bah. La junte est hantée par l’apparition d’un nouveau tandem comme celui de Rabiatou Sera Diallo et d’Ibrahima Fofana. Les maîtres à penser de la junte savent qu’autant un général sans troupe ne saurait remporter la victoire, autant l’inverse est impossible. Du coup, il faut empêcher à tout prix l’émergence d’un nouveau leader capable de conduire une résistance similaire à celles de 2007 et 2009.
Alpha Grimpeur, La Petite Cellule de Dalein Diallo et le Sid Touré ne se sont pas fait prier pour se mettre à l’abri. Ibrahiama le Cas-Sorry Fofana et Amadou Damaronron Camara méditent à l’Hôtel 5 étoiles de Coronthie. Amadeus Oury Bah et Oussou Gawa ne sont plus Dansa. Pour le reste, le contenu du discours varie selon que son auteur est à l’intérieur ou à l’extérieur du bled. Dans ces conditions, la junte sait que le nombre de ceux qui peuvent perturber le sommeil du nouveau timonier s’amenuise jour après jour. Elle décide de faire coup double. Disparus, les deux activistes, leur libération constitue la priorité. Cette disparition est un motif suffisant pour émousser le plus téméraire des exilés à remettre le pied dans le pays.
L’autre explication de la résignation du peuple : le bilan des luttes précédentes. Il y a encore 15 ans, les opposants de la junte d’alors, y compris le plus âgé d’entre eux, avaient promis monts et merveilles au peule si jamais celui-ci se battait pour que le costume cravate remplacent le treillis au palais. Le peuple a rempli sa part du contrat au prix fort. Passant les victimes par pertes et profits. Avec l’avènement d’un civil au pouvoir, les victimes du 28 septembre 2009 étaient censées être les dernières. De la prétendue réforme de l’armée, le nouvel élu se glorifiait sur tous les toits.
Onze années de désillusion. Les Guinéens cherchent toujours l’once de différence entre les militaires et ce civil en matière des droits l’homme. Pour les victimes de l’ancien régime, peu importe qu’une balle meurtrière soit tirée par un militaire, un gendarme ou un policier. Recaser l’armée ne devait pas donner autorisation aux gendarmes et policiers de faire « le sale boulot ». Les Guinéens, à tort ou à raison, ont à se dire qu’un élu peut être pire qu’un putschiste. Dire que le candidat au troisième mandat a justifié les crimes consécutifs à son projet de présidence à vie : « Partout où il y a un troisième mandat, il y a eu des morts ».
Le crève-cœur n’aura pas été que sur le plan des droits de l’homme. La gestion orthodoxe de l’économie, promise par le civil, sera un vœu pieux. Le secteur énergétique, son cheval de bataille, aura été de la poudre aux yeux. Convaincu que plus le mensonge est gros plus ses compatriotes y croient, ses virtuels mégaprojets ont été un mirage. Comme le chemin de fer Conakry-Kankan ou l’autoroute Conakry-Ouagadougou. Autant entre autres des raisons pour lesquelles le peuple hésite à faire don de soi ?
Mais ce n’est pas une particularité guinéenne. Le vent de la démocratie sur le continent dans les années 90 a fini par balayer les espoirs des peuples désabusés par une classe politique qui n’a pu faire mieux que ceux qu’elle a accusés de tous les péchés d’Israël. Il appartient donc à cette classe politique de se battre désormais sur deux fronts : lutter contre les pourfendeurs du pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple, restaurer la confiance entre le peuple et les représentants qu’il s’est choisis.
Habib Yembering Diallo