Selon toute vraisemblance, El Dadis passera près de la moitié de sa vie entre l’exil et la prison. Conséquences de ses frasques « Je peux ôter la tenue pour me présenter ». Ou encore ceux de l’autre Moussa, le Keïta, « Dadis ou la mort ».
Les propos d’El Dadis en disaient long sur les difficultés qu’il avait pour convaincre ses frères d’armes à céder le fauteuil présidentiel aux civils. Confessant sans cesse qu’il était soumis à des pressions par l’armée. Mais entre la pression de la classe politique, fortement épaulée par la communauté internationale, et celle de l’armée, il devait faire le choix. Sachant que la grande muette, aussi redoutable soit-elle, est une entité nettement inférieure face au peuple.
En ignorant l’obsession de l’armée et les siens de garder le pouvoir à vie, El Dadis aurait peut-être pris une balle comme celle que Toumba, lui avait logée dans le crâne, mais, mort ou vif, il aurait été un héros. Malheureusement, l’homme a succombé à la tentation et aux conseils d’un entourage qui est au chef ce que le marabout est à un idiot qui croit que sa survie et son bien-être ne dépendent que d’un charlatan. Avec le recul, le bouillant capitaine, reconnu coupable de crime contre l’humanité et condamné à 20 ans de prison, doit se morde le doigt. Pour savoir qu’il avait fait le mauvais choix.
Lui qui clamait à tout bout de champ que la CPI ne va pas lui demander des comptes à cause d’une candidature, se rend compte que peu importe la juridiction qui vous juge et condamne. La réalité, bien cruelle, est que ses déclarations auront été prémonitoires. Finalement à quoi aura servi d’être au-devant de la scène pendant 12 mois si c’est pour passer le reste de sa vie loin des siens.
Certains observateurs mettent le sort peu enviable d’El Dadis au compte de son âge et de son manque d’expérience. Mais l’histoire prouvera plus tard que, parfois, la vieillesse peut être aux antipodes de la sagesse. Alpha Grimpeur, le plus âgé de la classe politique guinée-haine, ne fera pas mieux que lui. La rupture du contrat politique et social avec le peuple produira les mêmes effets. S’il n’y avait pas eu le suicidaire troisième mandat, le 5 septembre aurait été une date comme toutes les autres. Malheureusement, la fameuse communauté internationale, qui n’avait lésiné ni avec les moyens ni avec les pressions pour que la junte cède le fauteuil à son chouchou, ne fera rien ou presque pour dissuader ce dernier de renoncer à son troisième et fatal mandat.
Les mêmes causes produiront les mêmes effets. A la seule différence que, si le militaire est jugé et condamné pour les crimes commis sous son règne, le civil, lui, bénéficie d’une impunité totale. Ses victimes, tout aussi nombreuses, attendront la justice divine. Malgré tout, la violation du serment du seul président issu des urnes, conduira ce dernier à un deuxième exil. Et il risque de terminer sa vie à Ankara comme il l’avait commencée à Paris.
Ces deux cas devaient être une leçon pour les nouveaux maitres du pays afin de mettre en application la sagesse populaire selon laquelle « il ne faut jamais accepter que les autres tirent des leçons à partir de vos propres déboires ». Mais c’est si seulement le pouvoir ne rendait pas à la fois sourd et aveugle. C’est s’il ne vous disait pas que ça n’arrive qu’aux autres.
En ce mois d’août 2024, Mamadi Doum-bouillant est confronté au même dilemme qu’El Dadis exactement 15 ans plus tôt. Il a, dans son goubernement, les mêmes metteurs en scène qui jouent le rôle incarné autrefois par Moussa Keïta et Idrissa Cherif. Avec la différence notable qu’hier le Premier ministre gardait profil bas alors qu’aujourd’hui il est au four et au moulin. Défendant une chose et son contraire. Président d’un parti politique inconnu hier et Premier ministre aujourd’hui, l’homme donne l’impression d’avoir bien appris les leçons du professeur Grimpeur. Tant leurs promesses se ressemblent. Aussi, hier l’accord convenu avec la CEDEAO était réaliste et réalisable. Aujourd’hui il doit s’adapter à la réalité. Laquelle est tributaire de la volonté du palais.
Le porte-parole du gouberement avait martelé que la transition prend fin le 31 décembre et pas seul jour de plus. Désormais sa fin est renvoyée aux calendes grecques. En attendant, le CNT a, enfin, présenté l’avant-projet de constitution. La classe politique, qui n’est pas en odeur de sainteté avec la junte, soupçonne l’organe législatif de contribuer à la violation du serment du 5 septembre 2021. Si, à quelques exceptons près, cette classe politique salut la possibilité pour un octogénaire de se présenter à la présidentielle, en revanche elle estime que l’autorisation de la candidature indépendante a été taillée sur la mesure d’un colosse.
Une nouvelle fois l’histoire risque de se répéter. La junte a annoncé les couleurs. L’impressionnant arsenal répressif déployé la semaine passée dans les rues de la capitale n’est pas anodin. Cette présence massive d’agents rappelle l’anecdote entre un colon et un chef traditionnel des Rivières du Sud au début du siècle dernier. Le Blanc demanda à l’interprète de dire au chef Noir qu’ils ne sont pas venus pour durer. Quand l’interprète traduisit les propos du Blanc, le chef africain lui rétorque : « Dis-lui que nous avons compris. Ils ne sont pas venus pour durer mais ils ont construit leurs maisons en pierres taillées et les ont couvertes d’un toit métallique. »
Ce qui nous ramène à notre transition à durée indéterminée pour dire qu’une équipe qui s’apprête à passer le témoin ne se dote pas d’un arsenal répressif comme celui que le CNRD déploie en ce moment ostensiblement dans les rues de Cona-cris.
Habib Yembering Diallo