Ah ! J’avais complètement oublié l’anniversaire du 3 avril 1984. Ceux qui sont nés après cette date ne peuvent mesurer ce qu’elle représente pour leurs aînés, longtemps enchaînés sous la dictature du Parti-État PDG. Mais qu’ils se rassurent, Mamadi Doumbouya leur en offre un avant-goût : assassinats, disparitions forcées, exil, fermeture des médias critiques…

Le 3 avril 1984, nous avons conquis notre véritable indépendance. Ce jour-là, nous avons enfin échangé l’illusion d’une souveraineté enfermée dans la misère et la violence contre la réalité d’une liberté imparfaite mais vivante. Nous n’étions pas riches, mais nous étions libres. Libres de partir et de revenir. Libres de penser et de parler, même pour critiquer le chef de l’État, sans finir dans un camp de concentration.

Libres même d’épouser une belle femme sans risquer d’y être envoyé. Oh, ce vent de liberté du 3 avril ! Il a soufflé sur nous une joie indescriptible, gravé en nous un souvenir impérissable. Qu’on se souvienne ! Des milliers de Guinéens anonymes, notamment de pauvres paysans, ont été fusillés sans sommation aux frontières. Les plus chanceux ont réussi à fuir cette prison à ciel ouvert qu’était devenue la Guinée. On parle des figures illustres assassinées dans les camps, mais les victimes des classes modestes restent les grandes oubliées de l’Histoire.

Avant le 3 avril 1984, nous étions coupés du monde. Nous ne savions pas que Conakry était devenue une ville-taudis. Nous n’avions aucun moyen de comparer notre pays aux autres. Toutes les infrastructures héritées de l’époque coloniale s’étaient effondrées.

De 1958 à 1984, seuls deux hôpitaux existaient à Conakry : Ignace Deen (ancien hôpital Ballay) et Donka, tous deux bâtis par les colons français. L’IPGAN était notre unique université, construite par les Soviétiques, son stade transformé en stade national. Les seules grandes réalisations depuis l’indépendance ? Le Palais du Peuple offert par les Chinois en 1966, la Grande Mosquée Fayçal et le Palais des Nations, dons saoudiens pour accueillir le sommet de l’OUA de 1984.

À part cela, Conakry était figée dans le temps, intacte depuis la visite du général de Gaulle le 25 août 1958.

Il en était de même pour toutes les villes de l’intérieur. Dans mon village, Timbo, rien n’avait changé : les deux salles de classe et le dispensaire coloniaux étaient toujours là, seuls vestiges d’un temps révolu. Et pourtant, la Guinée regorgeait de richesses. La bauxite, le diamant… qu’ont-ils changé au quotidien des Guinéens ? Rien. Le régime du PDG a été incapable de goudronner ne serait-ce que la route reliant Conakry aux villes minières de Fria et Kamsar. Il fallait trois jours pour atteindre cette dernière.

Autrefois, il ne fallait que 24 heures pour rallier Conakry à Kankan en train. Une dizaine d’années après l’indépendance, ce même trajet prenait une semaine. Et depuis ?

Tous les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir ont chaussé les bottes de Sékou Touré. Tous ont gouverné par la terreur, perpétuant l’héritage du PDG. Nous sommes toujours prisonniers de cette malédiction.

Que Dieu sauve la Guinée et les Guinéens !

Alpha Saliou Wann