Ils ont gracié. Oui, ils ont osé. Comme on crache sur une tombe ou qu’on repeint un charnier en rose bonbon. Le 28 mars, dans le confort climatisé d’un bureau présidentiel, ils ont signé l’impunité avec un stylo « Bic ». Et comme toujours, c’est le silence qui a crié le plus fort.

Capitaine Moussa Dadis Camara, condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité, n’aura pas besoin d’attendre son procès en appel. Pourquoi perdre du temps avec ces formalités judiciaires ? Un décret, et hop, le passé s’efface. Pas pour tout le monde, bien sûr. Pas pour les femmes violées dans la poussière du Stade. Pas pour les familles qui cherchent encore un nom sur une stèle qui n’existe pas. Pas pour les morts. Eux, on ne les gracie jamais.

Ils disent que c’est la loi. Qu’ils ont le droit. Qu’ils sont cléments. Ils prennent les Guinéens pour des ignares, des veaux, des moutons ? Ou alors, c’est qu’ils confondent la grâce avec la grâce divine – celle qui descend du ciel, pas celle qui tombe d’un calcul électoral.

Car tout le monde a compris le manège. Ce n’est pas de la miséricorde, c’est de la stratégie. On sort Capitaine Moussa Dadis Camara de sa cellule, on le lave à l’eau bénite de la junte, et on le renvoie en Guinée forestière, là où son nom fait encore battre les cœurs. On ranime l’identité, on attise la fibre, on titille le réflexe tribal. Puis, avec un sourire en coin : “À toi maintenant de te débrouiller avec tes voix.” Le vieux 3 contre 1 d’Alpha Condé remixé en version camouflage. Même recette, nouveau cuisinier.

Grâce électorale

Mais il y a une autre question. Plus gênante encore :

Pourquoi le Capitaine Moussa Dadis Camara… et pas les autres ? Pourquoi pas le Colonel Claude Pivi, souffrant, affaibli ? Pourquoi pas le Commandant Aboubacar Toumba Diakité, dont on sait que tous deux traînent une santé fragile – et c’est un euphémisme ?

Ils sont coaccusés, non ?

Ont-ils été jugés moins utiles à la manœuvre ? Moins rentables électoralement ? Moins stratégiques dans le grand jeu ethno-politique ?

Cette grâce n’a rien d’universel. Elle est sélective. Chirurgicale. Politique jusqu’à l’os.

Un décret électoral, déguisé en acte de clémence.

Mais il y a un problème. Le sang séché ne se gomme pas avec un décret. Et la douleur, elle, ne fait pas campagne. Elle ronge. Elle veille. Elle se transmet.

Ils pensent gouverner par la géographie et le cynisme. Mais gouverner, ce n’est pas découper le pays en tranches ethniques comme un gâteau empoisonné. Gouverner, c’est regarder dans les yeux les mères qui n’ont pas pleuré parce qu’elles n’ont même pas vu le corps de leur fils.

Non, ils n’ont pas gracié Capitaine Moussa Dadis Camara. Ils ont gracié la honte. Et ce genre de pardon-là, personne ne le réclame.

Et tant pis si, en chemin, on piétine une autre douleur encore fraîche : celle des 156 morts de N’Zérékoré. Un tournoi organisé par le CNRD. Un massacre. Un rapport d’enquête promis par le Premier ministre Bah Oury, jamais rendu public. Et ce silence-là, on croit pouvoir l’acheter avec une grâce. Mais à N’Zérékoré, personne n’est dupe. Là-bas, on n’échange pas les morts contre des symboles politiques. Là-bas, on se souvient.

Par Alpha Bacar Guilédji