Oui, répondent nos lois puisque notre pays, la Guinée est une république laïque qui par sa constitution, permet à chacun de ses citoyens d’avoir droit à une opinion et de pratiquer la religion de son choix. Le Guinéen peut être athée, animiste, chrétien, musulman, bouddhiste, juif, shintoïste, chamaniste ou kimbanguiste, cela ne regarde que lui et en tout cas pas l’Etat. L’Etat n’a pas le droit de se mêler de religion : c’est le principe de la laïcité. L’existence d’un ministère des affaires religieuses est en soi une anomalie dans un pays qui n’en manque pas.
Que l’imam Nanfo prie en langue malinké ne peut être considéré comme un délit. La Ligue Islamique qui est une association peut, selon son règlement intérieur, sanctionner un de ses membres si jamais l’imam en est un, certainement pas de casser sa mosquée ou de le jeter en prison. La Ligue Islamique ne détient aucune parcelle de pouvoir politique ou administratif.
Notre imam a décidé de porter plainte contre X pour atteinte à sa liberté de culte. C’est son droit le plus absolu. On verra bien si nos robins de la Cour Constitutionnelle vont pour une fois dire le droit ou s’ils vont comme d’habitude, appliquer l’arbitraire dicté par leurs supérieurs.
Il y a quatre ans, j’ai été sidéré de constater dans un lycée public de la région de Boké où j’avais été invité à prononcer une conférence, qu’on avait procédé à la lecture du Coran pour clôturer la séance. C’est une violation flagrante de la Constitution. C’est vrai que nous traitons notre Constitution de la même manière que nous traitons nos jeunes filles : nous passons notre temps à la violer.
Ceci pour le côté terrestre de la chose. Maintenant, qu’en est-il du côté céleste ? L’Islam permet-il de prier dans une autre langue que l’arabe ? Je n’en sais rien, n’étant ni imam ni muezzin ni un frais émoulu de l’université de la Sorbonne ou de celle d’El Azhar. En revanche, un éminent érudit arabe répond que oui, le musulman peut prier dans une autre langue que l’arabe. Cet érudit arabe est un Tunisien. Il s’appelait Mohamed Talbi et fut sans doute le plus grand islamologue de son époque. Voici ce qu’il disait dans la revue Nawaat du 5 Février 2005 : « Si Dieu parle et qu’il veut que Sa Parole soit un défi lancé à l’humanité, la dictée est divine, mais l’expression est humaine. Cela peut être dans n’importe quelle langue. Ce n’est pas spécifique à la langue arabe… C’est une parole théandrique, entièrement divine en amont. Mais, en se réfractant dans l’Histoire, elle ne peut parvenir aux hommes que si elle leur parle dans leur langue… En aval, parole entièrement humaine. Elle est soumise à toutes les approches possibles, philologiques, linguistiques. » Pour Mohamed Talbi, c’est le Coran et non l’arabe qui est sacré. D’ailleurs, affirme ce savant, il n’est pas question une seule fois des Arabes dans le Livre Saint ; le mot n’y est même pas prononcé. En tout cas, la voilà, la cruelle réalité : l’immense majorité des musulmans (les Arabes en sont nettement minoritaires) ne prie pas en arabe mais en charabia, je veux dire dans un arabe approximatif qui altère forcément le message divin.
Et puis bon, qui a dit cela qu’il faut prier en arabe? Le Coran : quelle sourate ? Les hadiths : lequel ? Au temps du Prophète, on prenait la peine d’expliquer. Aujourd’hui, on se contente de casser ou de brûler. Les anathèmes et les voitures piégées ont pris la place de la bonne vieille exégèse d’antan. De nos jours, l’Islam à tous les échelons souffre d’un gros souci pédagogique.
Tierno Monénembo