(Par Samir Bouzid, fondateur d’Impact Diaspora)
La diaspora africaine transfère en moyenne 60 milliards de dollars vers le continent. Une mamelle nourricière menacée par le covid-19. De mémoires d’immigrés africains en Europe, la période en cours n’a jamais été aussi traumatisante pour le «portefeuille» et la paix intérieure ! Aux conséquences économiques de la crise qui affectent indistinctement tout le monde, population immigrée ou non, les diasporas africaines sont en réalité plus vulnérabilisées par des sources d’anxiété spécifiques et additionnelles… Et dans ce contexte, les pays d’origine seraient bien inspirés d’être plus à l’écoute, par humanisme d’abord et par opportunisme ensuite car paradoxalement ces troubles profonds éprouvés par leurs ressortissants, sont de premières germes de rapprochements et d’opportunités futurs.
La triple peine : crises, isolement et stigmatisation
Il faut dire qu’en France, Italie, Espagne, Belgique, UK…la résilience individuelle et collective tant singulière des Africains est soumise à rude épreuve par des calamités à la chaîne : crise sanitaire et économique, vagues de stigmatisation, affectation en profondeur des modes de vie… Pour ces populations majoritairement constituées d’ouvriers, travailleurs précarisés et commerçants, la crise se solde déjà par une baisse substantielle voire une chute des revenus que la perspective des vagues massives de licenciements ne vas pas apaiser.
En conséquence, une précarité matérielle déjà collectivement ressentie qui se mêle par ailleurs à la peur de succomber au Covid-19 dans la promiscuité de quartiers résidentiels populaires où se fixent les « clusters » épidémiques les plus tenaces. A défaut de statistiques ethniques autorisées par les principaux pays d’accueil précisant le nombre de victimes africaines ou d’origine africaines, les quelques données officielles émanant des pays d’origine (Maroc, Tunisie, Sénégal, Mali…), estiment la « catacombe » à des centaines de victimes par communautés ! En substance, à l’échelle du continent africain finalement épargné, les principaux contingents de victimes africaines du Covid se comptent parmi leurs diasporas fixées dans les zones épicentres (Europe de l’ouest, Etats-Unis…).
A cette gestion énergivore de la crise et ses conséquences, les diasporas africaines d’obédience musulmane doivent faire fi du climat délétère vis-à-vis des musulmans, conséquence directe des récents attentats en France. Une énième vague de stigmatisation d’autant plus mal ressentie qu’elle vient pilonner des esprits déjà à bout et malmenés… D’autant que pour cette fois, les diasporas «cibles» n’ont pu compter pleinement sur leurs «abris» et leur oxygène habituel : la communauté et le ressourcement au pays d’origine, à cause notamment de la fermeture des frontières et la limitation suite au confinement des nombreux lieux de convivialité communautaires (commerces, locaux associatifs, lieux de culte…). Ils sont ainsi nombreux comme Fatou, jeune guinéenne installée à Paris, à pleurer une mère et une famille qu’elle n’a pas vu depuis l’été 2019…mêmes expressions de désolation chez Yasmine, Adel, Babacar, Eric pour qui l’isolement familial est vécu comme une triple peine !
Pour l’heure, chacun recharge un peu de chaleur perdue sur les réseaux sociaux ou lors de calls WhatsApp devenus multi quotidiens. Signes de l’ancrage consolidé ou retrouvé au pays d’origine, l’audience diaspora des principaux sites web médias africains, a atteint des records jamais vus…et les transferts d’argent font mieux que résister malgré le catastrophisme annoncé par la Banque Mondiale.
Ces frustrations d’aujourd’hui, le lit d’opportunités demain au pays d’origine ?
Et si cette fatigue, sidération, peur, anxiété, angoisse, colère…aboutissaient à une quête de nouveau sens dont le pays d’origine serait le grand gagnant ? Les prémisses sont là et il appartient aux autorités des pays d’origine de comprendre finement la conjoncture qui se déroule sous leurs yeux avec tous les enjeux inhérents. C’est le moment pour certains pays de renouer le dialogue avec leur diaspora et pour tous les autres de semer des territoires entiers d’opportunités nouvelles par la mise en place de dispositifs bien ciblés (tourisme, investissement…). Dans l’univers affectif des diasporas africaines, suivant la métaphore du père et de la mère, entre le pays d’accueil incarné par le père et le pays d’origine personnifié par la mère, les cœurs et les esprits sont en plein vacillement…Nos pays du sud sauront-ils ouvrir leur bras ?