Le richissime homme d’affaires Amadou Sadio Diallo, plus connu sous le nom de Diallo cravate, a tiré sa révérence le vendredi 7 février 2020 dans une clinique de la place. Une fin tragique pour un homme qui a connu un train de vie ostentatoire pour mourir dans le dénuement. Son cas devrait faire réfléchir tous ceux qui réussissent à faire fortune à l’étranger.
Beaucoup de Guinéens ne l’ont jamais connu, mais rares sont ceux qui n’ont pas entendu son sobriquet : « Diallo cravate ». Toujours tiré à quatre épingles, cet homme maniaque de la propreté arpentait fièrement les rues de Kaloum, en expliquant devant des personnes attentives ses différentes pérégrinations au Congo. En dépit de la situation peu enviable dans laquelle il vivait, Diallo Cravate affichait toujours une remarquable sérénité. Son parcours est un cas d’école, et son expérience vaut d’être enseignée dans les écoles de commerce.
Né le 3 janvier 1946 à Binani, dans la préfecture de Gaoual dans une famille de huit frères et sœurs, Amadou « Sadio » Diallo est frère cadet de jumeaux. Il fréquente au village l’école coranique avant d’arriver en 1955 à Conakry. Déscolarisé, il trouve une occupation dans une forge où on lui découvre des talents de joaillier. Il trouve ensuite du travail chez des cultivateurs blancs, ce qui lui permet d’acheter son premier vélomoteur qu’il réussira à revendre à 40 000 francs ! Une belle somme à l’époque. Il se découvre ainsi de nouveaux talents de vendeur et se lance dans le commerce. Quelques années plus tard, Amadou Sadio débarque à Dakar. C’est dans cette ville qu’on lui attribuera le sobriquet de Diallo Cravate, lorsqu’il s’est permis le luxe d’acheter une cravate à 15.000 Cfa.
L’eldorado au Congo
Arrivé au Congo en 1964, Amadou Sadio Diallo fonde dix ans plus tard en 1974 sa première société d’import-export, une société privée à responsabilité limitée de droit zaïrois nommée Africom-Zaïre. La société travaille notamment pour l’Etat. En 1986, elle reçoit de celui-ci une grosse commande de fourniture de papier listing…. Dont l’Etat ne paiera jamais la facture. En 1987, le paiement est apparemment décidé, puis bloqué par le premier ministre de l’époque qui accuse publiquement Diallo cravate de vouloir escroquer l’Etat et le fait emprisonner pendant un an sans jugement….Africom s’oppose également à la société Plantations Lever au Zaïre (PLZ) au sujet d’un contrat de bail conclu en 1975 par lequel PLZ louait un des appartements dont était propriétaire à Africom, qui le mettait à disposition de son directeur, Diallo cravate.
Entre temps, en 1979, la société Africom participe avec deux autres associés-personnes physiques à la création d’une deuxième société à responsabilité limitée : Africontainer-Zaïre. Mais très vite, notre compatriote se retrouve seul aux commandes : les deux autres associés se retirent en effet en 1980, laissant 60% des parts à Africom et 40% à Diallo cravate, celui-ci devenant par ailleurs gérant de la société. Africontainer entreprend une activité de transport de marchandises par container pour le compte de trois sociétés mixtes pétrolières et de la Générale des Carrières et des Mines ou Gécamines, la société d’Etat exploitant les riches gisements miniers du Congo. C’est la période de grâce pour l’enfant de Binani.
La fin de l’idylle
Bientôt, des difficultés interviennent imputables, semble-t-il, essentiellement aux co-contractants d’Africontainers : défaut de paiement des prestations, détournement des containers au profit de la Gécamines ou de l’Onatre, la société étatique et jusque-là monopolistique de transport, chômage prolongé des containers, violation de clause d’exclusivité prévues dans les contrats, aux dires de notre compatriote, qui conduisent ses co-contractants à recourir de manière croissante à d’autres prestataires, dont les sociétés pétrolières. Dans ce contexte, Diallo Cravate engage plusieurs démarches pour récupérer ses créances. Mal lui en a pris, puisque de procédures en procédures, il s’attire l’ire du gouvernement. Ce dernier, pour protéger les intérêts des débiteurs locaux, finit par arrêter et expulser Diallo Cravate, à destination de Conakry. Un retour qui vaut pour l’infortuné un véritable chemin de croix. Grâce à la sollicitude des uns et des autres, Diallo Cravate tient le coup. A force de ténacité et de persévérance de sa part, le gouvernement guinéen prend en charge son dossier et engage une procédure auprès de la Cour Internationale de Justice. Au terme de cette démarche de plusieurs années, le 19 juin 2012, la Cour internationale de justice a condamné l’Etat congolais à payer 95 000 dollars américains à l’homme d’affaires guinéen à titre des dommages et intérêts. La RDC a été reconnue coupable de tortures, détention et expulsion illégales ainsi que pour créances non payées d’Amadou Sadio Diallo. Et depuis cette décision de justice, le malheureux Diallo Cravate n’a pas reçu un dollar.
Le problème est de savoir maintenant quel va être le sort du dossier instruit par la Cour internationale de justice. La disparition de Diallo cravate va-t-elle constituer un funeste épilogue à cette affaire ? Il revient désormais à nos autorités de situer l’opinion publique sur cette tragique histoire. Une tranche de vie à conter à tous ceux qui ont décidé de s’installer à l’étranger.
TSD