Le 7 février 1992, à l’initiative d’un groupe de compatriotes, qui ont pris le grand risque de lancer un hebdo satirique, les Guinéens découvraient le premier numéro du Lynx. Un pari risqué dans la mesure où, en dépit de la liberté d’expression naissante, les autorités étaient encore frileuses sur la question. Sur un tout autre plan, la rentabilité du journal n’était pas assurée d’emblée en raison du style inconnu des Guinéens. Mais comme dirait l’autre, la chandelle en valait la peine ! Lentement, progressivement, le satirique du lundi s’est fait un fidèle lectorat. Chaque début de semaine, les lecteurs sont impatients de lire la Une du satirique qui, à sa façon bien singulière, croque l’actualité nationale. Cette prouesse reconnue par les uns et les autres aujourd’hui, est le couronnement de plusieurs années d’efforts soutenus. Dans un environnement marqué par la faiblesse de la culture de lecture, un circuit de distribution artisanal, une ignorance des vertus de la publicité, et des coûts de fabrication hors normes, sortir chaque semaine relevait d’un véritable parcours du combattant. En dépit de toutes ces difficultés, le Lynx a tenu bon et affiche fièrement ses vingt-neuf ans d’existence.

Pour la petite histoire, c’est par un pur hasard que j’ai pris connaissance de ce satirique. Un après-midi du mois de février 1992, sur l’avenue de la République, je croise feu Alhassane Diomandé,un despremiers journalistes du Lynx, tenant dans ses bras un lot de journaux. Il me tend un numéro en déclarant ‘’ Ce journal est très élitiste, je vous conseille de l’acheter, vous ne le regretterez pas ‘’. C’est dans ces circonstances que j’ai découvert pour la toute première fois le Lynx, en qualité de lecteur.

Quant à mon intégration à la rédaction, elle est due au flair de l’actuel administrateur général du groupe. Toujours en 1992, de graves événements surviennent au Togo. Les militaires donnent l’assaut à la primature pour remettre en cause le processus démocratique engagée après la conférence nationale de 1991. En réaction à ces événements, dans la rubrique courrier des lecteurs, je signe un papier ‘’ La démocratie assassinée au Togo’’. Lettre publiée dans la livraison du Lynx N°12 du 11 mai 1992. A la sortie du journal, M Souleymane Diallo me convie à un entretien pour me proposer les colonnes du Lynx en qualité de pigiste. Et depuis, ma collaboration se poursuit avec le Lynx.

A deux jours près, les 29 ans du journal coïncident avec la date anniversaire de la disparition de William Sassine, le chroniqueur assassin. Le 9 février 1997, la mort a emporté notre confrère. Au faîte de sa célébrité en Guinée, la plume de Sassine s’est cassée. Avec son style alerte, il croquait à sa façon l’actualité. De retour d’un long exil, Sassine avait trouvé au Lynx un espace pour donner libre cours à son talent et à son inspiration. Au fil des semaines, la page Assassine du Lynx était devenue la plus lue du journal. Le cas de feu Sassine illustre éloquemment le paradoxe guinéen. Bien connu à l’étranger, il aura fallu le Lynx pour découvrir en Guinée l’écrivain qui aimait écrire en vain. Comme l’écrit Elisabeth Degon dans son ouvrage Williams Sassine, itinéraires d’un indigné guinéen, le défunt est un écrivain discret aux multiples facettes qui a laissé dans la littérature africaine de langue française une empreinte profonde qu’il est temps de redécouvrir. S’il est célèbre surtout par ses romans, sa réputation repose principalement sur la Chronique assassine qu’il faisait paraître à Conakry dans l’hebdomadaire satirique Le Lynx.

L’évocation du souvenir de Sassine nous donne l’opportunité d’avoir une pensée pieuse pour nos confrères disparus à savoir Alhassane Diomandé, Sékou Amadou Condé, ledoyen Sambry Sako de Bokoro, Jean baptiste Kourouma, le doyen Félix Fabert, le dramaturge Ahmed Tidiane Cissé, Assan Abraham Keïta, Abdoul Gadiri Diallo. Ils ont chacun contribué à leur façon au rayonnement du journal. Durant cette semaine d’anniversaires croisés, toute la rédaction s’inspirera de leur exemple. Pour ce qui concerne le KAA du Lynx, décédé le 15 juin 2017, sa mort est une perte pour la rédaction. Par la force des choses, l’Ayatolynx aura consacré sa vie au Lynx au point que le journal était devenu partie intégrante de son être. Il vivait et respirait le Lynx. Un attachement que nul ne pouvait expliquer. Son engagement pour ce journal n’avait pas de limites.

LR