La décision rendue par le TPI de Dixinn dans la procédure judiciaire opposant Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré à l’Etat guinéen quant à l’appartenance ou non de leur maisons au patrimoine Bâti public continue de faire couler encre et salive. La juge des référés a refusé de trancher en faveur ou contre les deux anciens Premiers ministres qui demandaient un sursis à l’exécution du courrier du Patrimoine bâti public leur demandant de sortir avant le 28 février. Face au tollé, un ancien bâtonnier se fait entendre. Maitre Mohamed Traoré conseille de résister aux pressions de l’Exécutif pendant cette Transition. Bonne lecture !
Lors des journées de concertation organisées par la junte militaire au lendemain du renversement d’Alpha Condé, les magistrats avaient publiquement reconnu qu’ils subissaient des pressions dans l’accomplissement de leur mission, ce qui les empêchait d’être les gardiens de la loi. Ils s’étaient engagés en même temps à faire peau neuve. Ces déclarations archivées pour toujours n’étaient en fait que la traduction d’une réalité connue de bon nombre de guinéens.
Cette justice a aujourd’hui l’occasion de redorer son blason qui avait été fortement terni par la faute d’un certain nombre de magistrats. Il n’est pas superflu de rappeler en effet qu’il y avait une petite minorité de juges qui avaient et ont encore une conception sacerdotale de leur mission.
Le chef de la junte militaire s’est engagé de son côté à faire en sorte que les magistrats ne soient plus confrontés à aucune entrave dans l’exercice de leurs activités. Mais les principaux concernés ne doivent pas oublier qu’entre les engagements et la réalité, il y a souvent un énorme fossé. Il leur appartient donc d’œuvrer à faire des engagements une réalité.
La crainte qu’il faut avoir est qu’un magistrat élevé à un poste de responsabilité se croit redevable de l’autorité de nomination et devienne le serviteur zélé de celle-ci et non le gardien de la loi. Qu’on ne se leurre pas. Le pouvoir exécutif cherchera toujours à marcher sur les plates-bandes de la justice. Pire, il passera par les moyens les variés pour exercer des pressions sur les magistrats. Ces pressions pourraient prendre, par exemple, la forme de déclarations du genre « l’Autorité n’est pas du tout satisfaite de telle décision que vous avez rendue dans telle affaire ». Il appartient au magistrat de trouver la force de caractère nécessaire pour faire face et résister à de telles pressions. Il doit avoir présent à l’esprit que les régimes passent mais la magistrature demeure.
Les magistrats doivent éviter à tout prix d’être contraints de déclarer, quand il y aura un nouveau régime, qu’ils n’étaient pas indépendants pendant cette transition. Comme l’a dit un magistrat du parquet, « les magistrats sont en mission » ; mais quelle mission ? C’est à partir de la réponse- la bonne réponse surtout- à cette question qu’ils pourront apporter le renouveau dont les citoyens et les justiciables en particulier ont tant besoin au niveau de l’appareil judiciaire.
L’actualité judiciaire est en train de démontrer de la façon la plus éloquente que nul n’est assez fort ou puissant pour être au-dessus de la loi, de la justice et qu’en fin de compte seule la justice demeure le véritable rempart contre l’arbitraire. Ce n’est ni le pouvoir qu’on exerce à un moment donné de sa vie ni la tenue militaire ou les armes qu’on porte et qu’on ne portera pas ad vitæ aeternam.
Me Mohamed Traoré
Ancien bâtonnier