Le 12 mars 2022, Binta Laly Show, née en 1945, artiste-chanteuse, sort à Cona-cris un mini album plutôt spécial intitulé Solidarité. Après une carrière musicale de plus de 50 ans, celle qui a inspiré et formé plus d’un artiste en Guinée, est toujours sans toit et obligée de chanter pour gagner sa vie. Composé de 7 titres dont 5 nouvelles créations, un remix (Bhouloun ndiouri) et une intégration, cet album est probablement l’ultime et constitue une composante du projet Un toit pour Binta Laly lancé en 2020 à l’initiative du communicant et blogueur Alimou Sow et du journaliste Abdoulaye Sadio Diallo. Le projet, solidaire, participatif et humanitaire consiste à garantir un revenu durable après une carrière tranquille à Binta Laly Sow, qui n’a aucun enfant biologique en vie, mais en a plusieurs adoptés qu’elle couvre de son amour.

Le coût global de réalisation du projet s’élève à 1 185 000 000 francs glissants, incluant les charges de mobilisation des fonds d’investissement, l’achat du terrain, l’ingénierie, les matériaux et les travaux de construction.

Le 11 mars 2015, au club le First, nous avons échangé avec celle que Mamadou Thug appelle affectueusement la Mama Africa. C’était en marge d’une réunion de l’Association des artistes émérites du Foutah dont elle était la marraine. Nous avons parlé de ce qui lui fait mal et ce qui lui tient à cœur.

Le Lynx : Binta Laly Sow chante depuis plusieurs années. Vous avez des fans qui ne vous connaissent qu’à travers vos chansons et votre voix. Qui est Binta Laly Sow pour vos nombreux fans ?

Je suis Binta Laly Sow, fille de Télimélé. Née à Bourouwal-Sounki, Manga-Kouloun, Wouloun, mariée à Hamdalaye. J’ai commencé à chanter dans les champs pour accompagner les travailleurs, surtout les femmes en période de désherbage. Ce, depuis mon bas âge, au temps colonial, naturellement. Je le faisais souvent, parce que les femmes aimaient m’entendre chanter à leur côté quand elles travaillent. Travailler en chantant c’est bien, on avance sans sentir la fatigue. A un moment, Sadjo Sabou, un vieux chansonnier qui veillait beaucoup, est venu demander à mes parents de me laisser aller chanter avec lui. Mes parents ne le voulaient pas, étant leur unique enfant. Il a insisté en attirant l’attention de mes parents sur mon intelligence, ma voix, qu’il trouvait inégalable. Mes parents ont fini par céder, pas sans poser des conditions. Ils lui ont dit que je ne dois pas fumer, ni boire de la bière ni insulter et que je dois prier et apprendre le Coran. Le vieux s’est engagé.

Quand Sékou Touré est venu au pouvoir, après Yassine Diallo, on m’a amenée à Labé. A l’époque, il fallait faire la propagande du régime. Avec la nouvelle division administrative, notre village s’est retrouvé dans Télimélé, au lieu de Labé-Lélouma. C’est alors qu’on m’a mise dans la troupe, Section de Télimélé, ensuite dans la troupe fédérale de Kindia avant d’aller à Conakry. C’est comme cela on est resté dans ces troupes jusqu’au décès de Sékou Touré.

Quand Lansana Conté est venu, les troupes ont disparu. Farba Lélouma, mes artistes et moi, avons fait l’album Thionthian Weli. On a effectué une tournée à l’intérieur du pays. A Kissidougou, Yagouba « Go on », Maladho, Saliou, entre autres et moi, avons fait l’album Coumadant Bella manta Gallé. Après tout cela, monsieur Diouldé Sall m’a invitée à venir faire une cassette. C’est ainsi que j’ai fait mon premier album arrangé, Walyâbhè Foutah, à Abidjan. Cette sortie nous a permis de faire une tournée aux États-Unis, à l’initiative de Salimatou, une guinéenne qui vivait là-bas, à l’époque. On a fait beaucoup de concerts, mais la dame ne nous a donné aucun sou. Les ressortissants guinéens nous ont donné beaucoup d’argents, on a acheté du matériel. Mais Salimatou et Mamadou Samba, un jeune de Télimélé, ont fait que nous n’avons pas pu venir avec nos instruments qui sont restés à l’aéroport. Ensuite, on a fait Bhouloun ndiouri. Dès après, l’association Welingara au Sénégal est venue nous chercher pour une tournée européenne. On a fait le Portugal, l’Espagne où le jeune Koli Boiro m’a offert une voiture. Nous avons continué sur la Belgique, Lansana Béa Diallo livrait un combat. Il m’a choisie pour faire le show à l’occasion. Heureusement, il a gagné. Ah, la fête était très belle. De la Belgique, nous sommes allés en Hollande, puis en Allemagne et en France avant de regagner la Guinée. L’album Foulaniou qui sort après, coïncide au festival de Tabital pulaaku en Belgique. Une forte délégation guinéenne dont El Hadj Alpha Amadou Kourou, El Hadj Cellou Dalein et beaucoup d’autres cadres et opérateurs économiques et moi faisons le déplacement en Belgique. C’est l’occasion d’une nouvelle tournée qui, après la Belgique, me mène en Espagne, en France, au Portugal, en Italie, en Allemagne, en Suisse, en Hollande avant de revenir en Guinée. J’invite au courage et au travail bien fait. Si tu aimes, tu t’adonnes à ton travail, Dieu va t’assister.

Et vos relations avec Baaba Maal ?

Baaba Maal nous a invités à son festival, Mamoudou Maz, mon manager et moi. A cette occasion, nous avons fait une cassette au nom de l’Union sacrée. Nous avons, nous aussi, invité Baaba Maal, au moment où Diouldé Sall vivait. Baaba Maal m’aime et me respecte comme sa propre maman. Il a fait de moi la marraine de son festival.

A quoi consacrez-vous votre temps actuellement ?

Je prépare un album, il est presque terminé. Je demande une aide pour que les artistes progressent. C’est mon souci aujourd’hui. On a de bons artistes, qui font un travail formidable, mais le soutien leur manque.

Quel est votre état de santé ?

Je peux dire que je me porte bien. Je me déplace librement, je fais mes concerts comme je veux.

Quelle est votre habitude alimentaire ?

J’aime les aliments du village. Le tô, le fonio, le maïs et le riz.

De jeunes chantent aujourd’hui. Vous avez certainement des observations sur leur comportement …

Il y a des chanteurs, c’est vrai. Mais je demande à chacun d’avoir un pied dans le traditionnel et l’autre dans la modernité. Beaucoup de chansons sont aujourd’hui inaudibles, on ne les comprend pas. Les belles chansons n’existent pas. Cela s’apprend. Si tu apprends ce que tu veux faire, tu cherches la bénédiction, il n’y a rien qui puisse t’empêcher de réussir et de briller. Alors, il faut le courage et le respect des autres.

Quel est l’essentiel du message que vous lancez à ceux qui vous écoutent ?

J’aime rappeler ceux qui m’écoutent qu’on ne doit pas oublier son origine, sa lignée. Si tu n’oublies pas ton origine Dieu ne va pas t’oublier. Cela ne signifie pas détester ou oublier les autres.

Quel est votre album préféré ?

J’aime tous mes albums, toutes mes chansons, je suis leur auteure. Personne ne les a écrits pour moi, c’est venu de ma tête. Tout ce que tu fais pour toi ne peut pas ne pas te plaire. Je les aime tous, parce qu’ils ont tous contribué à élever mon niveau, à me faire des amis et à m’ouvrir beaucoup d’opportunités. J’ai eu du respect. Les gens m’ont invitée partout parce qu’ils ont aimé. C’est pourquoi, j’invite tout le monde au travail bien fait.

Après une longue période de léthargie, le Hirdè est en train de revenir dans une nouvelle forme qu’on appelle Pödha. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Le Hirdè, c’est ce qui est propre à nous. Les artistes se mobilisent, veillent avec le violon, les castagnettes, la flûte, la calebasse, entre autres instruments. Les instruments disparaissent petit à petit. Si on n’y prend garde, ils vont disparaître et ce n’est pas bon pour le Foutah. C’est ce qu’on connaît. Il ne s’agit pas de privilégier l’un au détriment de l’autre, mais de maintenir l’un à côté de l’autre. C’est normal si le Hirdè revient. Il a sa place dans la culture guinéenne, il a sa place dans la société.

Entretien réalisé par

Th Hassane Diallo