Le 20 juin dernier, le président ukrainien s’est adressé à l’Union africaine (UA) dans un discours solennel depuis sa capitale, Kiev. Que vient chercher Zelensky en Afrique ? Pourrait-on se demander. En effet, depuis l’indépendance acquise en 1991 après l’éclatement de l’URSS, l’Ukraine n’a jamais manifesté un intérêt quelconque pour l’Afrique malgré les multiples défis auxquels le continent fait face. Si maintenant, subitement, son président découvre l’existence de l’Afrique, c’est qu’il y a intérêt. Depuis février 2022, le pays fait face à l’un des conflits les plus intenses depuis la Seconde Guerre mondiale, que lui a imposé le voisin russe. N’eût été l’intervention rapide des Occidentaux pour le soutenir, le pays aurait sans doute déjà été englouti par l’ours russe. Dans un tel contexte, tous les soutiens sont nécessaires et sollicités. Zelensky en a vraiment besoin, tellement il est acculé par la puissante armée russe. Cependant, quelle peut être la portée réelle de ce discours ? Ce dont Zelensky a le plus besoin actuellement, ce sont des armes et des munitions. En la matière, l’Afrique est le parent pauvre du monde. Elle est amenée à recourir à des partenaires extérieurs pour son propre équipement. Sur le plan économique, le continent n’a pas non plus de biens particuliers à proposer à l’Ukraine. L’Afrique est un continent de jeunes. Zelensky a aussi besoin de combattants. L’Afrique pourrait donc être une source d’approvisionnement en hommes. Déjà, au tout début du conflit, l’Ukraine procédait discrètement à des recrutements de combattants dans quelques pays africains. Mais cela a été rapidement dénoncé. Après les expériences douloureuses des Première et Deuxième Guerres mondiales où des Africains ont été enrôlés dans le cadre colonial pour aller combattre pour les Européens, on peut se demander si des Etats accepteront de voir leurs ressortissants embarquer dans le conflit. Rien n’est moins sûr.

Les Etats africains doivent au moins savoir identifier leurs intérêts

L’Afrique peut espérer obtenir de l’Ukraine une solution à la crise alimentaire due à la pénurie de blé dans le commerce mondial. Il y a aussi le problème d’approvisionnement en engrais qui se pose. La saison pluvieuse est là, et l’engrais n’arrive toujours pas. Ce qui pourrait perturber la campagne agricole. Mais l’Ukraine n’a pas seule la solution. Car, le blé comme l’engrais proviennent aussi bien de l’Ukraine que de la Russie, et les Russes ont actuellement le contrôle des ports de commerce du pays agressé. Le soutien le plus plausible que l’Afrique pourrait apporter à l’Ukraine, c’est seulement un soutien moral et diplomatique. Cela pourrait aboutir à la condamnation par l’Union africaine, de l’agression russe et à un alignement sur les positions de l’Ukraine dans les instances internationales. Mais même ce soutien simplement formel, l’Afrique peut-elle l’oser ? Pas certain. Car, il faudrait éviter d’effaroucher le géant russe qui est bien plus important pour l’Afrique que l’Ukraine. Le continent, effectivement, a plus de rapports de commerce et de coopération avec la Russie qu’avec l’Ukraine dont le poids est pratiquement insignifiant en Afrique. Les armées de certains pays sont équipées et entraînées par les Russes. Ceux-ci n’entendront pas remettre en cause de longues années de coopération juste pour donner satisfaction à Kiev. Il est vrai que les Etats occidentaux tenteront d’exercer des pressions “amicales” sur des Etats africains de leur zone d’influence. Mais cela suffira-t-il ?  Quoi qu’il en soit, les Etats africains, à défaut d’être des puissances économiques et militaires, doivent au moins savoir identifier leurs intérêts. Dans le cas précis, pour bénéficier du blé et de l’engrais qu’ils ne produisent pas ou pas assez, ils ne peuvent prendre officiellement position dans le conflit russo-ukrainien. En avril 1955, au plus fort de la guerre froide, à la Conférence afro-asiatique de Bandoeng, les pays en voie de développement avaient jeté les bases du non-alignement. Avec la dislocation de l’URSS, cette conception est tombée en désuétude. Le conflit russo-ukrainien vient rappeler qu’il est peut-être temps de raviver le non-alignement, car l’Afrique a parfois des préoccupations plus pressantes que de prendre position dans des situations créées par ceux-là mêmes qui l’ont subjuguée depuis longtemps, et qui, parfois, dans le fond, la méprisent.

Apolem