Les bourreaux de M’Mah Sylla ont de nouveau comparu le 8 novembre, au tribunal de première instance de Mafanco. Comme Patrice Lamah, Célestin Millimono (en fuite), Sebory Cissé et Daniel Lamah, sont inculpés pour «viol, avortement, risque causé à autrui et administration de substance nuisible». Des faits que Daniel Lamah et Sébory Cissé se rejettent.
L’accusé Daniel Lamah est un médecin généraliste, il a fini les études en 2012. Il a fait subir à feue M’Mah Sylla une intervention chirurgicale dans une clinique clandestine dans le quartier Entag, dans la commune de Matoto. A la barre, il a rejeté toute responsabilité, il dit s’être plutôt battu pour sauver la vie de M’Mah Sylla : « Moi, je suis à Dubréka. Quand Célestin Millimono a des patients à opérer, il m’appelle, je viens réaliser l’intervention. Pour le cas de M’Mah Sylla, Célestin m’a dit qu’ils ont une patiente, je suis venu l’examiner, je pensais à l’appendicite. Mais, nous avons fait une échographie, j’ai conclu que son état nécessitait une intervention chirurgicale, parce qu’elle a un kyste rompu au niveau de l’ovaire droit. Je l’ai opéré le 16 août 2021». Selon lui, les complications ont commencé plusieurs jours après l’opération : «Tout allait bien, elle évacuait les selles normalement. Au premier pansement, Patrice Lamah m’a dit que la plaie puait, je lui ai expliqué comment faire. Cinq jours après, ils m’ont appelé, ils m’ont dit que M’Mah Sylla a eu des complications, sa grand-mère nous a dit que les selles sortaient par voie vaginale, Célestin a nié».
Célestin Millimono, le coupable parfait ?
Comme Patrice Lamah, Daniel lui aussi impute la responsabilité à son coaccusé, Célestin Millimono, en fuite depuis que l’affaire a éclaté. Selon lui, ce dernier lui a caché avoir pratiqué un avortement sur M’Mah Sylla : « Célestin ne m’a rien dit, et au moment de l’opérer, moi j’ai considéré que c’était juste des infections. Quand la situation s’est compliquée, Patrice m’a tout raconté. Comme Célestin faisait confiance à Sébory Cissé, je n’ai rien dit.»
Tâtonnements
Daniel Lamah a beau clamer son innocence dans cette affaire, il a fini par avouer que les fistules de M’Mah Sylla ont commencé après son intervention chirurgicale. Il a reconnu aussi qu’il n’est pas un chirurgien, mais un médecin généraliste, il aurait même soutenu sur une thèse de Santé publique, mais «je pratique la chirurgie depuis 2014», affirme-t-il.
A l’enquête préliminaire, Daniel Lamah aurait reconnu les faits, plaidé coupable et demandé pardon à la famille de la défunte, avant de se rétracter devant la juge d’instruction : «J’ai tenu ces propos sous le coup de l’émotion». L’accusé reconnait également dans l’engagement écrit chez Docteur Sébory Cissé avoir pratiqué une intervention chirurgicale qui a entraîné de «multiples lésions viscérales, la perforation des intestins et de l’utérus». Il a également reconnu que la clinique où il a opéré M’Mah Sylla n’avait aucun matériel pour la chirurgie : «La boîte à outils m’appartient, le stérilisateur aussi».
Daniel Lamah ne nie pas non plus avoir participé aux trois opérations effectuées sur la défunte dans la clinique de Sébory Cissé.
Sebory Cissé vide son sac
C’est dans la nuit du 30 au 31 août 2021 que M’Mah Sylla, en état de choc, a été admise dans une clinique à Dabompa par Célestin Millimono et Patrice Lamah. Ses intestins étaient dehors, attachés par un pagne. Toute la paroi, pourrie. Sébory Cissé, un des accusés, était le médecin chef : «J’ai demandé à Patrice Lamah et Célestin Millimono comment on en est arrivé à une telle situation. Ils m’ont dit qu’elle avait un kyste qui nécessitait une intervention chirurgicale. Ils n’ont pas voulu dire la vérité. Quand elle s’est réveillée, elle m’a dit qu’un jour Patrice Lamah, voulait à tout prix sortir avec elle, il l’aurait appelé, lui a dit qu’il devait lui donner quelque chose. Quand elle est arrivée, il l’a agressé sexuellement, l’a violée. Après l’acte, il l’a supplié de lui pardonner. Elle s’est retournée à la maison. Deux jours plus tard, elle avait des céphalées, elle est allée à la clinique de Patrice Lamah. Il lui a donné un jus, elle s’est endormie après l’avoir bu. Il l’a violée, elle s’est réveillée, a constaté qu’elle a été violée. Un mois plus tard, elle n’a pas vu ses règles, elle est allée voir Patrice Lamah. Ils ont fait un test de grossesse qui s’est révélé positif. Patrice a voulu garder l’enfant, il lui a dit qu’il va l’amener à Gomboya (Coyah), jusqu’à l’accouchement. M’Mah Sylla ne voulait pas garder la grossesse». Selon Cissé, c’est ainsi que Patrice Lamah aurait décidé d’interrompre la grossesse : « Il l’a amenée dans une clinique à Cosa. Il a voulu faire l’avortement par curetage, M’Mah Sylla n’a pas supporté la douleur. Il lui a donné 100 000 francs guinéens, lui a dit d’aller chez Célestin. Mais, il lui a dit de ne pas informer Célestin qu’il est l’auteur de la grossesse. Ce dernier, aussitôt que M’Mah est arrivée, lui a dit de monter sur la table, lui aussi l’a violée. Il lui a même dit :’’Comme tu n’as pas voulu sortir avec moi, aujourd’hui, c’est mon tour ». Célestin aussi a tenté l’avortement. Le lendemain, Patrice Lamah et Célestin Millimono ont amené la fille à Sanoyah, pour une échographie, la grossesse n’était pas interrompue. Ils l’ont amenée à Fofomèrè (Dubréka), pour un autre curetage, cela n’a pas marché. Ils l’ont ramenée à Entag, l’ont endormie, pour un avortement. C’est en ce moment qu’ils ont perforé ses intestins, son utérus. Tous ces processus n’ont pas abouti. C’est ainsi qu’ils ont décidé d’interrompre la grossesse par une intervention chirurgicale. Quand elle m’a expliqué tout cela, je suis revenu les voir. Je leur ai dit qu’ils ont menti, ils ont reconnu, m’ont supplié de ne pas les dénoncer. Je leur ai dit que je vais porter plainte moi-même. J’ai demandé aux parents de M’Mah Sylla de faire la même chose, la fille a dit qu’elle ne veut pas que l’affaire sorte, elle se préoccupait de sa santé».
Sébory Cissé explique que ses coaccusés ont berné les parents de la victime pour l’opérer : « Ils ont fait croire à ses parents qu’elle avait un kyste, ce qui est faux. Ils l’ont opérée avec une plaie de plus de 35 cm. C’est après les complications qu’ils l’ont amenée chez moi. Je leur ai fait signer un engagement attestant leur responsabilité médicale et pénale. J’ai opéré la fille, j’ai réparé les fistules, tout allait bien. Mais, je lui ai dit de ne pas manger jusqu’à ce que les choses deviennent normales, elle a refusé, elle a rechuté. J’ai fait une deuxième intervention, elle mangeait toujours, au bout de deux semaines, je leur ai dit de l’évacuer».
Sébory Cissé accuse ses coaccusés d’être de mauvaise foi : «Ils parlent de kyste ou de fièvre typhoïde, ce n’est pas lié, ils mentent. Ce sont eux qui ont perforé les organes de la fille. C’est pourquoi moi-même je veux que justice soit rendue dans cette affaire. Les parents de M’Mah Sylla sont témoins, je les ai fait entrer dans le bloc, pour leur montrer les compresses et files qu’ils ont placés dans son ventre».
L’affaire est renvoyée au 22 novembre, pour la suite de la déposition de Sébory Cissé.
Yacine Diallo