À Moussodougou, à l’entrée de la commune de Kaloum, entre le Centre culturel franco-guinéen et la pénétrante menant au Port autonome de Conakry, une machine a démoli des bâtiments administratifs et privés le 23 septembre. Des fonctionnaires du ministère de la Santé sont désemparés.

Dans le cadre du projet de l’aménagement et de la construction du Parc urbain de Conakry qui s’entend de Kaloum à Dixinn, sur une superficie de plus de 42ha, le ministère de l’Habitat commence à déguerpir des lieux. Sont visés, les services du Programme national de la lutte contre les maladies tropicales négligées, l’Institut national de santé publique, la Direction nationale de l’épidémiologie, le Centre des vaccins, le Centre national de documentation et d’information pour le développement (CENDID), une école privée et un centre de formation professionnelle privé. Ces bâtiments se situent à Moussodougou, en face du Jardin 02 Octobre. Seront aussi détruits les sièges de la Direction nationale de météorologie, de la Chambre de l’agriculture et les bâtiments qui abritaient le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle.

L’État « n’a rien proposé » pour recaser ses propres services, selon une source qui a requis l’anonymat. Les fonctionnaires de ces services n’ont eu droit que 72 heures, pour plier bagages. « C’est le samedi 21 septembre que nous avons reçu l’ordre de partir de nos bureaux. Le problème est qu’on ne nous propose aucune solution, aucune alternative, alors qu’on n’a pas été préparé à déménager. On ne sait plus où aller. Normalement, c’est l’Etat qui loge ses fonctionnaires, ce n’est pas à ces derniers de se trouver de logement. Le coordinateur du Programme national des maladies tropicales négligées et le directeur d’épidémiologie ont contacté le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique. Sans succès. En fait, rien n’a été préparé pour nous recaser, chacun se débrouille. C’est lamentable, c’est honteux », fustige un des cadres basés à Moussoudougou, joint dimanche le 22 septembre. Selon lui, tous les travailleurs déguerpis dans la zone sont fonctionnaires ou assimilés à des projets liés à l’État guinéen.

Pour en avoir le cœur net, nous voilà au ministère de l’Habitat. Personne ne veut témoigner. A défait de nous demander à quitter le département, il nous a été de prendre rendez-vous : « Il vous faut préalablement un rendez-vous, sinon, on ne peut pas vous répondre », ajoute un agent de sécurité. A Moussoudougou, des agents de la Brigade spéciale d’intervention de la police de Kaloum encadrent la zone.

Tibou Bangoura

Des déguerpis déboussolés

Dans la cour du complexe scolaire et professionnel Naby Yansané, Tibou Bangoura, le directeur, ne sait plus à quel saint se vouer. Son école est visée par le déguerpissement, à deux jours de la rentrée des classes. Il avait commencé la réinscription des élèves. « Une mission de la commune de Kaloum nous a fait croire qu’on est à la phase préparatoire du projet Parc urbain de Conakry et que la deuxième phase, en 2025, sera consacrée à la construction de quelques infrastructures, telles que les passerelles sur l’autoroute Fidel Castro. Donc, nous étions préparés à cela. Mais le 21 septembre, des agents de la commune de Kaloum nous ont demandé de libérer les lieux dans 72h. Si mon école est détruite, les conséquences seront graves en termes de financement. Des rumeurs circulent déjà chez les parents d’élèves, mais nous sommes en train de jouer à la pédagogie, puisque qu’on nous avait dit que l’école ne seraient pas détruite », témoigne Tibou Bangoura. Pour lui, le ministère de l’Habitat aurait dû les préparer, pour qu’ils puissent, à leur tour, préparer les parents d’élèves. « Nous sommes dans un État, pour déguerpir une école, il y a des préalables. On ne peut pas nous déguerpir comme des commerçants, nous sommes une école qui forme des filles et des fils du pays, il faut qu’on fasse les choses dans les règles de l’art. Je préfère un développement civilisé à celui anarchique où on laisse derrière, des frustrés », renchérit Tibou Bangoura.

Ruée vers les gravats

Après chaque casse, des jeunes et des enfants se bousculent sur les gravats pour récupérer le reste des bâtiments détruits : meubles, fer, fil, chevrons, tôles. Ils sont munis de marteaux et de scies à métaux. Ils cassent des blocs de ciment pour en extraire des barres de fer, les coupent à l’aide de scie à métaux à l’effet de les transporter. « Ce sont des loubards. Ils se sont attaqués au portail, aux fenêtres et aux tôles de mon école qui n’a pas encore été cassée. Heureusement, le gardien est intervenu pour les repousser », conclut Tibou Bangoura.

Yaya Doumbouya