Ces dernières semaines, Conakry fait face à une vague de chaleur inhabituelle, particulièrement la nuit. Pour comprendre les causes de ce phénomène et ses conséquences, notre rédaction a rencontré, mardi 29 avril, le Dr René Tato Loua, Directeur Général de l’Agence nationale de la météorologie. Dans cet entretien, il explique les origines climatiques et environnementales de la canicule, les risques pour la santé, ainsi que les mesures d’adaptation que chacun pourrait adopter face à la chaleur, appelée à devenir plus fréquente avec le changement climatique.
Le Lynx : Quelles sont les principales causes de la forte chaleur actuelle à Conakry ?
Le Dr René Tato Loua : Actuellement, on observe une chaleur intense à Conakry, surtout la nuit. Cela s’explique principalement par deux facteurs : d’abord, les effets accentués du changement climatique, ensuite une transition inter-saisonnière. En effet, nous sortons de la saison sèche pour entrer dans la saison des pluies. Cette période transitoire perturbe le climat.
Êtes-vous d’accord qu’il fait plus chaud que par rapport aux années précédentes ?
Cette année, la chaleur est plus marquée et dure plus longtemps. Cela est lié aux perturbations du régime pluviométrique causées par le changement climatique. Par exemple, certaines zones comme le Sahel, ont connu des vagues de chaleur importantes. Bien que la Guinée ait été moins touchée, elle en subit les conséquences. La Terre a emmagasiné beaucoup de chaleur et, à Conakry, il n’y a pas encore eu de précipitations abondantes, pour refroidir le sol.
Par ailleurs, des nuages traversent la région sans produire de pluie, ou alors ils ont déjà déchargé sur d’autres zones côtières. Cela provoque un effet comparable à un morceau de fer chaud sur lequel on verse juste quelques gouttes d’eau. La chaleur se dégage puissamment, car l’eau n’est pas suffisante pour refroidir complètement la barre de fer.
Ces températures extrêmes ont-elles des risques pour la santé humaine ?
La forte chaleur n’est pas forcément la cause directe de maladies graves, mais elle aggrave les infections existantes, notamment les maladies respiratoires.
Peut-on redouter que la situation empire à l’avenir ?
Absolument ! Avec le changement climatique, ces épisodes de chaleur intense deviendront de plus en plus fréquents. La modification du climat entraîne une variabilité accrue. Des saisons des pluies plus irrégulières, des précipitations qui commencent tôt dans certaines régions et tard dans d’autres, des vagues de chaleur inattendues, etc.

Par exemple, cette année, la région forestière a commencé à recevoir de la pluie assez tôt, tout comme certaines parties de la Moyenne-Guinée. À Conakry, en revanche, on attend encore les premières pluies significatives. La configuration géographique de Conakry, une presqu’île entourée de l’Océan Atlantique naturellement chaud, explique aussi en partie cette chaleur persistante.
Certains citoyens trouvent qu’il fait plus chaud à Coyah qu’à Conakry. Qu’en pensez-vous ?
C’est une perception courante, mais scientifiquement, il fait souvent plus chaud à Conakry qu’à l’intérieur du pays. Cela s’explique par des facteurs géographiques et orographiques. Une chaîne de montagnes située entre Conakry et Coyah agit comme une barrière naturelle. Dès qu’on dépasse Coyah, on ressent la fraîcheur. Conakry, quant à elle, a un microclimat spécifique qui la rend particulièrement exposée à la chaleur, surtout en cette période.
Est-ce que la chaleur de cette année est comparable à celle de l’année passée, notamment pendant le Ramadan ?
Effectivement, l’année dernière a été marquée par une chaleur extrême. 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée sur la planète à cause du phénomène El Niño [phénomène océanographique cyclique pseudopériodique apparaissant certaines années (tous les deux à sept ans), qui se caractérise par des températures de l’eau plus élevée que la moyenne…source : Wikipédia]. Les effets de cette chaleur se sont prolongés encore en 2024. Nous sommes en train d’analyser ces tendances, pour mieux les comprendre et informer la population.
Quelles mesures de prévention ou d’adaptation conseillez-vous à la population ?
Il est important d’adopter un comportement préventif. Cela passe par une bonne alimentation, adaptée à la saison et à la santé de chacun, en suivant les conseils des médecins. Il faut boire beaucoup d’eau, éviter de consommer des aliments lourds le soir, et avoir des espaces bien ventilés chez soi. La climatisation peut aider, mais l’aération naturelle est aussi essentielle.
Il est également crucial de reboiser, de préserver l’environnement, d’éviter de brûler les ordures surtout les plastiques, car cela accentue les îlots de chaleur urbaine. En ville, les véhicules et les déchets brûlés aggravent la température locale. Adopter des comportements écologiques est une nécessité pour atténuer les effets de cette chaleur.
Interview réalisée par
Mariama Dalanda Bah