Les femmes, notamment en milieu rural, subissent de plein fouet les conséquences environnementales du changement climatique. En Guinée, le Centre d’Études et de Coopération Internationale (CECI) et l’Union des producteurs agricoles pour le développement international (UPA DI), en collaboration avec des partenaires internationaux mènent un projet novateur qui place les femmes au cœur des stratégies d’adaptation. Dans cette interview exclusive accordée à notre rédaction ce vendredi 9 mai, Tiranke Camara, conseillère technique en charge des questions de genre au CECI, analyse la vulnérabilité accrue des femmes face aux effets du changement climatique, les pesanteurs socioculturelles à leur autonomisation, mais aussi les leviers d’action et d’espoir.
Le lynx : Pourquoi est-il important de parler de genre lorsqu’on aborde les effets du changement climatique ?
Tiranke Camara : Le genre est une dimension essentielle, bien qu’encore très sensible dans notre pays. Le changement climatique ne touche pas tout le monde de la même manière. Les femmes, particulièrement en milieu rural, sont beaucoup plus exposées. Elles sont souvent responsables des tâches domestiques, comme la collecte de l’eau, et travaillent dans le maraîchage. Quand les ressources se raréfient, c’est leur quotidien qui est directement bouleversé.
Quels sont les impacts que vous avez, concrètement, constatés sur le terrain ?
Dans les sous-préfectures de Madina-Woula , Alassoya et Moussaya, nous avons rencontré des femmes qui marchaient jusqu’à 14 kilomètres par jour pour aller chercher de l’eau. En l’absence d’eau, leur activité agricole est paralysée. Ce qui aggrave leur pauvreté. La charge domestique augmente, la qualité de la production baisse, et cela entraîne une spirale de vulnérabilité économique et sociale.
Quelles sont les conséquences sociales de cette vulnérabilité accrue ?
Elles sont multiples. La pauvreté fragilise l’autonomie des femmes, ce qui les expose à des violences économiques et conjugales. À cela s’ajoutent des répercussions sur la santé. Certaines plantes médicinales utilisées par les femmes, comme le poopa, disparaissent à cause de la déforestation et de la sécheresse. Cela prive les communautés de savoirs ancestraux en matière de soins de santé.
Vous avez évoqué le concept de “masculinité positive”. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est une approche innovante qui consiste à impliquer les hommes dans la lutte pour l’égalité. Il ne s’agit pas de les exclure, bien au contraire. Les hommes doivent devenir des alliés. Nous engageons des discussions pour leur montrer qu’en soutenant les femmes, c’est toute la communauté qui progresse. Cela permet aussi de s’attaquer aux racines culturelles des violences basées sur le genre.
Quelles sont les solutions pour renforcer la résilience des femmes face au changement climatique ?
Il faut renforcer le leadership féminin. Cela passe par leur inclusion dans les instances de décision locale. Nous travaillons à intégrer les priorités des femmes dans les Plans de Développement Locaux (PDL). Nous collaborons avec l’ANAFIC, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et les autorités locales pour que les politiques prennent en compte leurs besoins spécifiques.
Quel message souhaitez-vous adresser aux femmes, notamment celles des zones reculées ?
D’abord, je tiens à les féliciter. Elles sont engagées, dynamiques, prêtes à apprendre. Certaines ont déjà bénéficié de formations et d’appuis techniques. Nous voulons en faire des modèles. J’appelle toutes les femmes à sortir de leur zone de confort, à être curieuses, à chercher à se former. Le changement climatique est un défi collectif : elles ont un rôle central à jouer.
Interview réalisée par Mariama Dalanda Bah depuis kindia