Le weekend dernier, le prési Alpha Grimpeur a accordé une interview à Dakar actu. Le Prési n’a pas donné sa langue au chat. Il a répondu, pour une fois, à la question sur la nouvelle constitution ou le 3è mandat, sans se fâcher. Ce qu’il a toujours refusé aux journaleux locaux et étranger, notamment Rfi et la BBC. Il a évoqué également ses médiations et ses relations avec son homologue le Sall Macky.
Vous avez récemment mené une médiation remarquée, dans la sous-région, durant la présidentielle sénégalaise, entre les présidents Macky Sall et Abdoulaye Wade, quelles ont été les motivations qui vous ont poussé à entreprendre une telle initiative et quelles ont été les contraintes auxquelles vous avez été confronté ?
Vous savez, je suis très lié au Sénégal. Lorsqu’on m’arrêtait, il y avait des comités de soutien créés par les hommes politiques partout, mais la particularité au Sénégal, c’est que c’est la population qui s’est mobilisée. Ousmane Ngom qui était mon avocat m’a dit que c’est dans la rue qu’il a appris que j’étais libre. Je n’oublie pas que le comité international créé par Albert Bourgi, accompagné par Babacar Touré, ont fait l’essentiel des réunions à Dakar. Donc, je ne peux pas rester indifférent lorsqu’il s’agit d’un pays comme ça, étant donné que Macky Sall est un jeune frère. Dans une médiation, l’essentiel est d’arriver à une conciliation des deux parties, ce que nous avons fait. C’est vrai que l’incompréhension était à un tel niveau, mais avec la volonté des deux positions, nous avons pu arriver au résultat que vous connaissez.
Peut-on parler d’un protocole de Conakry et quels en sont les termes ?
Je pense qu’il revient, plus tard, au président Macky et au président Wade de l’annoncer au peuple sénégalais.
Mr le Président, on va toujours parler de médiation. Vous avez joué un rôle majeur dans la médiation qui a sorti la Gambie de l’impasse et le départ de Yahya Jammeh, suivi de son exil en Guinée Équatoriale. Quel a été le rôle clé que vous avez joué ?
Vous savez, au départ, on avait de très mauvais rapports Yahya Jammeh et moi. Parce qu’à un moment donné, j’avais dit que l’attentat qui avait été organisé au début de mon mandat, il y était pour quelque chose. Puis progressivement, on avait deux points communs, chacun de nous a un franc-parler. Et progressivement, il a constaté que je suis le président avec lequel il avait les meilleures relations. Lorsqu’il y a eu la crise, c’est moi qui ai proposé que le président Buhari (Muhamadu) soit le médiateur. Les choses se compliquant, la médiation du président échoue. Donc, lorsque j’ai constaté qu’il y avait des difficultés, j’ai décidé de m’impliquer directement. Et comme le président mauritanien (Mouhamed Ould Abdel Aziz, ndlr) avait fait un certain travail, j’étais à Davos avec le vice-président du Nigéria, je me suis qu’il fallait que la médiation du Président Buhari réussisse, donc je vais en Gambie. J’ai prévenu le président mauritanien, je me suis arrêté en Mauritanie pour le remercier…Vous savez, aucune action de cette nature ne saurait être facile. Là également, le président Yahya Jammeh a été à l’écoute de son peuple. Je lui ai dit, vous avez travaillé ce pays, est-ce que vous allez contribuer à détruire ce que vous avez fait ou bien vous allez préserver la paix. Il a été très raisonnable et il a dit qu’il était très important pour moi que la paix et la concorde règnent dans ce pays. Ce qui a facilité la médiation. La Gambie comme le Sénégal, nous sommes des pays frères et notre rôle est d’être à leur écoute et de nous impliquer pour la paix. Donc étant le plus ancien, en âge, quand il y a problème entre mes frères, je dois m’impliquer, ce que j’ai fait.
Monsieur le président, vous avez été également médiateur en Guinée-Bissau, des accords ont été signés. Pensez-vous que la sortie de crise est proche ?
La Guinée Bissau, ça n’a pas été facile. C’est un pays où les élections se passent toujours normalement, mais très peu de présidents ont terminé leurs mandats. L’essentiel pour nous, et nous savons aussi le rôle que la première République de Guinée a joué dans l’accompagnement du PAIGC (Parti africain pour l’Indépendance en Guinée et au Cap Vert, ndlr), dans la lutte de libération. Donc, il était extrêmement important pour nous, ayant été désigné médiateur par la CEDEAO, qu’on réussisse. Ça n’a pas été facile, mais le 10 mars, les élections législatives se sont passées de façon transparente et dans le calme, le parlement va s’installer ces jours-ci et le nouveau gouvernement va être mis en place. Nous espérons arriver cette fois à la fin de cette crise qui dure depuis un bon moment. De toute façon, nous allons continuer à accompagner nos frères de Guinée Bissau afin que ce pays connaisse la paix, la stabilité et son développement. Vous savez, le pays a eu un montant important à Bruxelles, mais cet argent n’a pas pu être utilisé à cause de la crise. Donc, s’il y a la paix, la stabilité et une gouvernance, je pense que le peuple de Guinée Bissau peut bénéficier de ses richesses.
Vous êtes le garant des accords de Conakry, est ce que vous n’avez pas l’impression, Mr le Président qu’on est revenu au point de départ dans ce pays puisqu’après les Législatives, c’est le Premier ministre Domingo Simoes Pereira qui risque de revenir au pouvoir. Ne craignez-vous pas encore un blocage des institutions, avec le président José Mario Vaz ?
Je crois que tout le monde doit respecter la volonté populaire. Domingo ne s’est pas élu lui-même, c’est le peuple qui l’a élu. Et je pense que le président a félicité le PAIGC de sa victoire. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de problème. La seule souveraineté, c’est peuple et il s’est exprimé. Il revient donc, à tous les hommes politiques de respecter le vote populaire. Si le peuple a décidé que tel doit gouverner, chacun doit l’accepter. Je ne pense pas que le président Vaz, qui est un démocrate, qui respecte la démocratie… Je pense qu’il n’y aura aucun problème.
Actuellement, est-ce qu’on peut dire que le président Alpha Condé est un magicien de la paix sur le Continent ?
Y a pas de magicien! Les magiciens, ça n’existe pas. Peut être dans l’imaginaire populaire. Vous savez, moi, je suis un panafricain et dans ma lutte, j’ai eu beaucoup de soutien de la plupart de ces pays. Donc, il est de mon rôle, lorsqu’il y a des problèmes, d’utiliser le peu de crédit et d’expérience pour aider des frères à trouver une solution. Il n’y a pas besoin d’être magicien !
On évoque une éventuelle médiation au Burkina Faso entre Roch Marc Christian et Zéphirin Diabré. Qu’en est-il exactement ?
Vous savez, le Burkina est un pays où j’ai été souvent, au point qu’on me disait que “vous êtes burkinabè”, depuis le temps de la (FEANF) Fédération des étudiants d’Afrique noire en France. Le président Roch est un camarade de la FEANF, Diabré aussi nous a suivi… Aujourd’hui, ce qui est important dans ce pays, c’est que tout le monde se donne la main pour faire face au terrorisme. Parce que le terrorisme, ça ne bénéficie à aucun parti politique. Donc, nos deux frères ont été réceptifs dans la nécessité d’avoir un dialogue pour unir les forces pour lutter contre le terrorisme. Diabré est venu à Conakry, nous avons discuté, il s’est montré ouvert. Il en a été même avec le président Roch; nous avons eu à échanger lors de notre séjour à Niamey, à l’occasion du Sommet sur le Sahel, nous avons échangé à trois et Dieu merci. Aujourd’hui, ils sont d’accord pour aller au dialogue pour trouver une solution parce que quand il y a la guerre, quand il y a des terroristes, ça ne bénéficie à aucune force politique. Donc, avant de penser aux jeux politiciens, il faut d’abord sauver le pays. De toute façon, ils étaient tous d’anciens militants de la FEANF, nous avons ce point en commun pour pouvoir nous entendre.
Justement Mr le Président, on reste au Burkina. Ce pays vit une menace sécuritaire très grave avec des massacres sur fond de lutte inter communautaire ; on note les mêmes exactions au Mali avec le drame d’Ogossagou. Est-ce que vous ne craignez pas une contagion sous régionale de ces menaces-là et quelles sont les initiatives prises par l’Union africaine et la CEDEAO pour juguler cette menace ?
Vous savez, ces peuples ont vécu pendant des siècles en harmonie. Les dogons parlent peulh, les peulhs parlent dogon, mossi etc… La question qu’on doit se poser c’est de savoir, pourquoi brusquement ces tueries, alors que ces peuples ont vécu ensemble pendant des siècles? Il nous revient à nous chefs d’État de la sous-région de répondre à cette question, parce qu’il est évident que le terrorisme n’a pas de frontières. On dit souvent que si la maison de ton frère brûle et que tu ne fais rien, ta maison va brûler. Il est du devoir des chefs d’État de la CEDEAO de réfléchir sérieusement, de ne pas se laisser manipuler, de ne pas tomber dans le piège qui nous est tendu. Parce que si ces peuples qui ont vécu des siècles sans problèmes, brusquement, s’entretuent, peut-être il faut se poser la question : qu’est-ce qu’il y a derrière ? Est-ce que ce n’est pas un complot contre l’Afrique ? Quel type de complot ? Il est de notre devoir en tant qu’élus de ces peuples de trouver la réponse à cette question et de trouver des solutions. Est-ce que ce n’est pas tombé du ciel ? Quand on sait que le terrorisme s’est développé depuis un moment dans ces régions. Comment c’est arrivé au niveau des gens qui n’étaient pas du tout impliqués ? Ni les Dogons, ni les Peulhs n’étaient impliqués dans l’histoire du terrorisme au Mali. Ce n’est pas une opération du Saint-Esprit ! C’est à nous chefs d’État d’extirper ce grain qui risque de faire exploser nos pays parce que si les Ethnies s’affrontent, on va à la catastrophe.
Jusque-là, on a l’impression que l’Union africaine et la CEDEAO font preuve de manque de leadership sur cette question très grave…
Peut-être que vous avez raison, vu de l’extérieur…mais nous sommes en train de nous concerter pour prendre des initiatives. Je pense que la CEDEAO prendra des initiatives, vu qu’il y a eu le G5 qui a été créé pour faire face. Mais aujourd’hui, les problèmes sont devenus complexes avec ces affrontements. Nous serons à la hauteur pour ne pas décevoir nos peuples.
Mr le Président, au plan économique, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau et le Sénégal sont réunis au sein de l’OMVS. La Guinée, étant le château-d’eau de l’Afrique de l’Ouest, est-elle prête à jouer son rôle de locomotive dans le développement énergétique dans la sous-région ?
Vous savez, nos prédécesseurs ont eu l’idée lumineuse de créer l’OMVG (l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie, ndlr) qui regroupe le Sénégal, la Guinée, la Gambie et la Guinée Bissau ; et l’OMVS qui regroupe le Mali, la Mauritanie, le Sénégal et la Guinée. La Guinée, étant le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ayant d’immenses potentialités en énergie hydraulique, elle se devait de partager cela avec les pays voisins. Ce n’est pas moi, c’est un président panafricain, même si je n’étais pas…je me serais inscrit dans cette voie-là. Nos peuples ont besoin d’énergie parce que sans énergie, on ne peut pas se développer. Sans énergie, on ne peut pas transformer nos matières premières agricoles et minières sur place. Donc, il est fondamental que nous nous entraidions pour que ceux qui ont plus de possibilités partagent avec les autres. C’est pourquoi dans le cadre de l’OMVS, nous partageons avec le Sénégal, le Mali, la Mauritanie ; de l’OMVG que nous partageons avec la Guinée Bissau, la Gambie ; et le peuple de Guinée en est conscient, cette richesse que Dieu nous a donnée, ce n’est pas seulement à la Guinée, mais à tous nos voisins. C’est tout à fait normal que la Guinée joue le rôle de locomotive en ce qui concerne l’électricité à partir des barrages hydrauliques. C’est un devoir du peuple de Guinée et des dirigeants guinéens et particulièrement moi, qui ai un passé de panafricain.
Mr le Président, la Guinée et le Sénégal sont deux pays, mais un seul peuple avec des communautés fortement représentées çà et là. Quelle est votre lecture de cette situation et quelles sont les éventuelles contraintes qui pourraient exister entre les deux États?
Vous savez, on dit souvent que la dent et la langue vivent ensemble, mais il arrive que la dent morde la langue. Le Sénégal et la Guinée sont liés par l’histoire, par le même peuple. Et il y a parfois des péripéties, des histoires entre Sékou Touré et Senghor (Léopold Sédar), mais l’avantage que nous avons aujourd’hui, c’est que les dirigeants sont des panafricains, même si Macky (Sall) n’a pas été à la FEANF, il a été membre de And Jëf et And Jëf, c’est quand même la FEANF. Donc, au fond, on a la même vision. Donc, il se peut qu’il y ait des problèmes, il y a toujours des problèmes entre les États, mais c’est un frère, et un jeune frère, un ami, nous nous concertons souvent. Évidemment, il y a des gens, surtout vous les journalistes qui créent des problèmes là où il n’y en a pas, mais c’est à nous de surpasser…
Quelle est la nature de vos relations avec le président Macky Sall ?
Macky Sall est un jeune frère, nous avons de très bonnes relations. Dernièrement, il y a eu une maladresse d’un standardiste et vous avez fait beaucoup de bruit dessus. Macky et moi, on a rigolé parce que ça n’a aucune importance. J’ai de très bons rapports avec le Président Macky. Est-ce que vous connaissez un président africain qui a été passer des vacances dans un autre pays africain ? Moi, j’ai passé mes vacances au Sénégal alors que les autres vont en France. Le président Macky m’a demandé de déménager à Popenguine. Il m’a très bien reçu et ma belle-sœur, sa femme m’a fait de très beaux boubous… Évidemment, je ne suis pas gros comme lui (rires) je me moque de lui disant que ma belle-sœur m’habille mieux que toi, mais tu n’as qu’à faire du sport et être comme moi”.
Mr le Président, toujours sur les relations entre le Sénégal et la Guinée, vous avez été à Dakar et vous avez rendu visite à Amadou Moctar Mbow qui était le président des Assises nationales. Était-ce une simple visite de courtoisie ou y étiez-vous pour prendre des conseils pour lancer dans un futur proche, des Assises nationales en Guinée ?
Non, vous savez, le président Mbow, ce sont nos précurseurs à la FEANF. Donc nous sommes venus dans leur lignée. C’est quelqu’un pour qui, j’ai un très grand respect. Et j’avais même promis qu’on fêterait son anniversaire à Conakry et que j’allais le décorer. Malheureusement, sa santé s’est un peu dégradée, il est reparti en France et aujourd’hui, il ne peut pas bouger parce qu’il suit une dialyse tous les jours. Je suis parti chez lui parce que c’est mon grand-frère, c’est nos précurseurs et c’est quelqu’un pour lequel j’ai beaucoup d’admiration. J’ai voulu lui montrer que quelle que soit ma position, je serai toujours son petit frère. Je ne vais pas lui demander des conseils, je vais discuter avec lui, voir son état de santé, et montrer que je serai toujours à ses côtés. Bien sûr, j’aurais souhaité, comme on en avait discuté avec Babacar Touré, Boucounta, qu’on vienne fêter son anniversaire à Conakry. Sa santé ne le lui ayant pas permis, la moindre des choses quand je vais à Dakar, c’est d’aller lui rendre visite. Vous savez, rien n’est au dessus des relations sociales. Si vous n’êtes pas dans les relations sociales, vous n’êtes rien. Moi, je privilégie toujours les relations sociales. La preuve, quand je vais à Dakar, j’ai toujours un dîner avec mes amis. Se retrouver avec Niasse, Tanor, Decroix, Khalifa Sall, Babacar Touré, Sidiki Kaba et Dansokho…même les garçons nous regardent.
Vous avez des nouvelles d’Amath Dansokho ?
Quand j’arrive à Dakar, la première chose que je fais, c’est de rendre visite à Amath. Et juste avant que j’arrive, son fils m’a téléphoné pour me dire qu’ils amènent Amath en catastrophe en France. Je suis en contact avec sa femme…vous savez, j’ai eu beaucoup d’affrontements politiques, avec mes frères Sénégalais du PAI (Parti africain de l’Indépendance, ndlr) etc. Mais Dansokho a toujours été un frère. C’est un homme exceptionnel, je l’appelle le Dernier des Mohicans. C’est un homme politique qui ne pense qu’à son pays, qui n’a pas d’ambitions personnelles ni ambitions matérielles. C’est l’un des rares qui existent encore aujourd’hui, lui et Paolo George, l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’Angola. Je suis extrêmement attaché à Dansokho. D’ailleurs quand le président Wade a voulu le convoquer, j’ai pris mon billet et j’ai dit que si on le convoque, je vais avec lui à la police. Je ne peux pas accepter qu’on l’amène sans que je sois là.
Mr le Président, votre pays regorge de potentialités économiques et attire beaucoup d’investisseurs étrangers, les Chinois notamment. Mais quelles initiatives prenez-vous pour attirer des entrepreneurs africains et leur offrir des opportunités de business en Guinée ?
D’abord moi, j’ai toujours privilégié la coopération sud-sud, la coopération entre les pays africains. N’oubliez pas la FEANF avait deux principes, l’Indépendance et l’Unité africaine d’où notre symbole : “si tous les fils du royaume venaient du…” Mais pour le moment, nous avons suffisamment de problèmes, nous n’avons pas encore les moyens pour investir mais ici, il y a des investisseurs sénégalais qui viennent. Nous avons des richesses, notamment, la bauxite, le fer etc. Le principal consommateur, c’est la Chine. Bien sûr, il y a des investissements chinois ici, mais il n’y a pas que les chinois. Vous prenez la bauxite par exemple, vous avez les américains, depuis 1960 à Kansa, vous avez des Russes, bien avant mon arrivée à Filia et à Kindia et depuis mon arrivée à Diandian ; vous avez Abu Dhabi avec sa société Mubadala qui se trouve à Sangaredi ; vous avez des Anglais à Gouffa ; des Indiens à Shapoura ; et hier, j’ai reçu des investisseurs coréens. Tous ceux qui veulent investir pour développer notre mine, nous sommes d’accord. La Guinée a plus de la moitié de réserve mondiale de bauxite et quand je suis arrivé, nous ne faisions que 13 millions de tonnes, c’est à dire qu’on ne représente que 7% du marché alors que logiquement, on aurait du être le premier producteur. Nous sommes le premier fournisseur de la Chine, mais s’il plait à Dieu, d’ici deux ans, nous serons le premier producteur. Mais dans notre coopération, nous devons toujours privilégier les intérêts fondamentaux du peuple de Guinée, notamment l’emploi et le transfert de technologie. Dans nos coopérations, on tient à ce qu’on privilégie les travailleurs guinéens sauf dans les domaines où nous n’avons pas de spécialistes. Deuxièmement, que les secteurs d’activité comme le transport ou la sous-traitance soient réservés aux Guinéens ; mais surtout qu’il y ait un transfert de technologie. Je prends l’exemple du barrage du Souapiti, des jeunes guinéens sont formés et si vous allez à Souapiti, c’est pas des chinois qui vont vous guider, c’est des jeunes filles guinéennes. Donc, pour nous, il est important que les investisseurs qui viennent soient dans une opération gagnant-gagnant et que ça donne du travail aux Guinéens. Que ça permette aux Petites et moyennes entreprises guinéennes de se développer, mais surtout qu’ils permettent à la jeunesse guinéenne de maitriser les technologies afin que demain nous nous passions d’assistance. C’est ça que nous avons comme politique. Mais j’ai dit à Abidjan que les hommes politiques doivent faire confiance aux hommes d’affaires africains. Souvent, nous avons un complexe en pensant que ceux qui viennent de l’Occident sont meilleurs. Nous avons ici de grands hommes d’affaires. J’ai dit à un débat où j’étais avec le président Macky qu’il faut couper le cordon ombilical. Mais je n’ai pas dit que ça. J’ai aussi dit que nous devons favoriser les hommes d’affaires africains, mais qu’eux aussi doivent se regrouper, créer de grandes banques pour…
Justement Mr le Président, que vous inspire ce débat sur le Franc CFA quand on sait que la Guinée, historiquement, a choisi d’être en dehors de cette zone monétaire ?
C’est un débat qui ne concerne pas la Guinée. On n’est pas membre de la zone franc CFA, donc, ça ne concerne pas la Guinée (rires).
Mr Le Président, après huit ans à la tête de la nation guinéenne, vos réalisations se passent de commentaires, le barrage de Kaleta et celui en finition, de Souapiti, les routes et les ouvrages de franchissement, les hôtels, le développement des activités minières, la relance de l’agriculture, qu’est que vous auriez dû réaliser ?
Quand j’ai été élu en fin 2010, j’ai dit la vérité aux Guinéens. J’ai dit : “Nous sommes au sous-sol, nous devons serrer la ceinture pour aller au niveau du sol et ensuite à un niveau plus élevé. En effet, en Guinée, il n’y avait pas de routes, pas d’eau, pas d’électricité etc. J’ai hérité d’un pays, pas d’un État. Un État, c’est une administration, c’est une armée, police, une justice or tout le monde sait dans quelles situation était l’armée guinéenne, dans quel état était l’économie. Aussi la Guinée n’avait jamais achevé un programme avec le Fonds monétaire international. Grâce au courage du peuple de Guinée qui a compris qu’on devait serrer la ceinture et tout le monde s’est attaché, y compris les syndicats, nous avons pu faire face à tous ces problèmes. Il est évident qu’aujourd’hui, hier si on se gaussait de nous, quand on voyait l’hôtel Novotel, on a rien à envier aux pays voisins. Une fois il y a eu coupure de courant à Bamako, ils sont sortis avec des pancartes, Bamako c’est pas Conakry mais Dieu merci, aujourd’hui, on commence à avancer. Mais nous allons répondre aux Maliens en leur donnant du courant pour que Bamako, comme Conakry, comme Dakar soient toujours bien éclairées. Quand je suis arrivé au pouvoir, mon objectif, c’était vraiment de me battre pour sortir les femmes et la jeunesse de la misère. Je n’ai pas pu mettre fin au chômage des jeunes et empêcher que des jeunes guinéens comme d’autres africains puissent émigrer et aller mourir dans les eaux de la Méditerranée. Il s’y ajoute les conditions pénibles des femmes, surtout dans les villages. C’est la bataille fondamentale qui nous reste aujourd’hui.
Mr le Président, on sait que vous êtes un homme de dialogue, à quel niveau de dialogue êtes-vous avec l’opposition en Guinée qui s’est regroupée au sein du Front national ?
Il y a un cadre de concertation dans lequel se passe le dialogue. Moi, je suis président ; je suis au-dessus de la mêlée ; je suis le président des Guinéens. Logiquement, c’est dans le cadre de concertations que toutes les questions doivent être discutées. Que ça soit des problèmes politiques ou des problèmes d’élections, tout doit être discuté dans ce cadre où nous retrouvons mouvance présidentielle et opposition, mais aussi les partenaires étrangers qui assistent à ces réunions. Le corps diplomatique qui est là participe à ces discussions. Si chacun respecte les règles institutionnelles et le fonctionnement de la démocratie, c’est là-bas que les problèmes doivent se régler.
On parle de l’adoption d’une nouvelle constitution et d’un référendum. Évidemment, l’opposition n’est pas d’accord avec cette initiative, en tant que président de la République, est-ce que vous comptez vous mettre au-dessus de la mêlée ?
Le président de la République est le principal garant des institutions. Maintenant, la souveraineté d’un peuple appartient au peuple. Donc, seul, le peuple peut décider. Quelqu’un ne peut pas se mettre à la place du peuple. Moi, j’observe, mais je suis le principal garant de la défense des institutions. Ce qu’on oublie, c’est que la souveraineté appartient au peuple et seule la volontaire populaire s’impose à tout le monde. En tant que démocrate, c’est mon point de vue. Je laisse les gens débattre, il revient au peuple guinéen s’il veut changer de constitution ou pas…C’est le droit du peuple guinéen.
Et si cette constitution ouvrait la voie à un troisième mandat, Mr le Président…
S’il y a modification de la Constitution, il y a troisième mandat, s’il n’y a pas de modification de la Constitution, il y a mandat ou pas… Moi, pour le moment, je pense que le débat est ouvert et il doit être libre. Chacun est libre de défendre sa position, mais il appartient au peuple de trancher.
Mr le président, dans un communiqué paru hier, l’ONG Human Right Watch demande à la Guinée de créer un panel spécial de juges chargés d’enquêter sur le comportement des forces de sécurité accusées de s’être livré à des actes de illégaux lors de manifestations. La question est : quelle est la situation des droits de l’Homme en Guinée depuis votre arrivée au pouvoir ?
La Guinée ne fonctionne pas en fonction de ce que pensent telle ONG ou telle autre…ils sont libres de penser ce qu’ils veulent. J’ai été élu par le peuple de Guinée, je suis responsable devant le peuple. Personne ne peut nier que depuis mon élection, la situation des Droits de l’Homme a totalement changé. Mais ceux qui critiquent les forces de l’ordre, s’ils sont honnêtes, pourquoi ils ne vont pas jusqu’au bout. Est-ce que lorsque des gens manifestent au Sénégal, ils viennent avec des frondes, des coupe-coupe, des lance-pierres ? Est ce que vous avez ce qu’on appelle section cailloux ? Donc, quand des gens qui manifestent viennent avec des fusils de chasse, viennent avec des frondes, vous voulez que les forces de l’ordre se croisent les bras ? Ça me fait rire cette organisation parce qu’elle parle des forces de l’ordre, mais ne parlent pas des manifestants qui utilisent la violence contre les forces de l’ordre. Le droit de manifester est un droit fondamental, mais lorsque les manifestants se mettent à casser des véhicules, à casser les maisons, à prendre les téléphones des passants, vous voulez que les forces de l’ordre se croisent les bras ? Ce qu’ils veulent, sincèrement, ce n’est pas mon problème. Ce n’est pas eux qui vont me dire ce que j’ai à faire, c’est le peuple de Guinée qui me dira…j’ai des comptes à rendre au peuple guinéen, au peuple africain, pas à ces ONG. D’autant plus qu’ils font du deux poids deux mesures. Quels sont pays qui font le plus de violence ? Est qu’ils les attaquent ? Ils n’ont qu’à alors balayer devant leur propre porte. Ils n’ont pas de leçon à donner à quelqu’un. Et très souvent, ils sont financés par des magnats. Beaucoup de gens ne sont pas contents de l’évolution de la Guinée parce qu’ils veulent piller ce pays. C’est eux qui financent ces organisations-là. Donc, honnêtement, ils peuvent dire ce qu’ils veulent ; ça ne me fait ni chaud ni froid.
Mr Le Président, de quelle Afrique rêvez-vous ?
(Long soupir) L’Afrique de ma jeunesse. Une Afrique unie où il n’y a pas de frontières. Si l’Afrique est unie, nous serons la première puissance du monde. Pourquoi ? La Chine a été l’usine du monde pour la raison que la main-d’œuvre n’était pas chère. Aujourd’hui, la Chine ne peut plus compter sur le Commerce extérieur. Il faut augmenter le pouvoir d’achat. Cela veut dire que la main-d’œuvre sera de plus en plus chère. Nous, nous avons les matières premières, on commence à avoir le savoir, les jeunes africains n’ont rien à envier aux jeunes européens ou américains en ce qui concerne les Start-up et les nouvelles technologies. Nous avons une main-d’œuvre moins chère que la Chine, donc en toute logique, c’est l’Afrique qui doit être, demain, l’usine du monde. Mais nous ne devons pas être l’usine du monde pour le monde, mais l’usine pour l’Afrique et pour le monde. Cela veut dire transformer nos matières premières sur place et pour nous-mêmes et vendre nos produits finis à l’extérieur. Et cela n’est pas possible si les Africains ne se donnent pas la main, si on n’a pas un marché commun. Je suis d’autant plus heureux que nous avons aujourd’hui la zone de libre échange africaine qui a été adoptée. Je prends un seul cas : la bauxite. Avant on faisait des portes, des fenêtres en bois. Aujourd’hui, c’est de plus en plus en aluminium, cela veut dire que si nous sommes ensemble, nous sommes un marché plus grand pour nous-mêmes que pour la Chine. L’Union africaine a engagé une très bonne évolution, avant on était financé par les…aujourd’hui, nous allons nous financer nous-mêmes, nous parlons d’une seule voix…Il est vrai que tout le monde ne marche pas au même pas, mais progressivement, je pense que chacun finira par être dans le train.
La toute dernière question Mr le Président. Quelle image voulez-vous que le peuple guinéen garde de vous pour la postérité ?
(Long silence) Vous savez, pour moi le peuple de Guinée et le peuple africain, c’est la même chose. Qu’on dise que j’étais fidèle à mes idées de jeunesse, d’étudiant.