L’organisation des élections en Guinée a été au centre de nombreux remous, dont les conséquences directes et indirectes à l’Etat ont entraîné des saignées financières de plusieurs ordres. Au centre de ces phénomènes, la Commission électorale nationale indépendante, CENI, dont la gestion du budget électoral est tout, sauf transparente. Et comment ? Bien que les urnes aient fait couler des flots d’encre, de salive, de larmes et de sang en Guinée, peu de Guinéens savent concrètement le prix de leur «démocratie», du moins sa valeur pécuniaire. Cette enquête fait partie de la série d’articles que Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée. Elle est réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa, en français Initiative pour des sociétés ouvertes en Afrique de l’Ouest).

Partie 1

A l’Administration du trottoir, mystère !

Bonjour, le ministère de l’Administration du trottoir, le partenaire privilégié qui aide techniquement la CENI, jusqu’à lui chiper des prérogatives. Depuis le 20 mai 2019, par Décret D/2019/145/PRG/SG, est créée une DNAPAE (Direction nationale des Affaires politiques et de l’Administration électorale). Elle est issue de la fusion des Affaires politiques et de l’Administration électorale. Depuis, cette direction est pilotée par Dr Amadou Kabako, ancien commissaire à la CENI de 2012. Un bavardage avec lui permet de noter que la CENI a fait un rapport général sur les élections de 2013, mais il nous demande d’aller à la CENI, pour avoir un quelconque rapport d’audit que la CENI s’est fait ou qu’un autre lui a fait. Quand il quittait l’OGE, il a «laissé tout ce qui appartient à la CENI là-bas.» Il laisse entendre que le «cercle du président», c’est-à-dire la questure, le DAAF ou la comptabilité, peut bien répondre à nos «questions». Mais, c’est sans connaître les dribbles de la questeure Séraphine Kondiano et ses complices.

Au ministère du Budget, un Assistant de la Cellule de Communication a promis de nous trouver des interlocuteurs, les 21, 29 janvier et le 5 février. On croise les doigts.

Le coup des élections à la Guinée

Combien les élections ont-elles coûté à la Guinée ? La question est légitime, tant la dernière décennie a été rythmée par les soubresauts électoraux. Bien que les urnes aient fait couler des flots d’encre, de salive, de larmes et de sang en Guinée, peu de Guinéens savent concrètement le prix de leur «démocratie», du moins sa valeur pécuniaire.

Les sélections légis-tardives de 2013 ont été chiffrées à au moins 438 petits milliards de francs glissants, selon un rapport dit «intermédiaire» de la période 2011 à 2013. Le coût moyen d’un électeur aura été de 12 dollars contre 20 dollars dans la sous-région, selon l’équipe de la CENI d’alors. Depuis, ces pays ont entrepris de les maintenir sous la barre des 10 dollars, avec les performances notables du Nigéria (6 dollars en 2015) et du Sénégal (2 dollars en 2017). L’Etat guinéen aura déboursé 67% des 438 milliards, les partenaires ont casqué les 33%. Ce coût élevé serait lié aux nombreux reports des élections, à cause de la divergence dans la classe politique sur les conditions d’organisation du scrutin, arguait l’OGE.

En 2015, la CENI avait envisagé de coupler les élections présidentielle et locale, pendant l’épidémie de la fièvre hémorragique Ebola qui a tué 2 500 guinéens entre 2013 et 2016. La Guinée avait exprimé un besoin de 500 milliards de francs guinéens, «un objectif financier difficile à atteindre pour un pays dépendant déjà de l’aide internationale pour lutter contre le virus Ebola», avait alors analysé nos con(.)frères de France24.com. «L’aide internationale, notamment européenne, pourrait permettre de boucler ce budget. Pourtant, aucune demande n’a été formulée par Conakry. Pour le leader de l’opposition guinéenne, Cellou Dalein Diallo, le chef de l’État, Alpha Condé, chercherait à tout prix à s’affranchir d’une aide du Vieux Continent, et donc de la présence d’une mission d’observateurs électoraux européens lors de ces élections. Le président guinéen éviterait ainsi de voir se répéter la situation des élections législatives en 2013. Des experts de l’Union européenne avaient critiqué l’organisation du scrutin après que la Ceni leur avait refusé la supervision du décompte des voix.» Et on connaît la suite. Finalement, le budget de la présidentielle de 2015 a été évalué à 555 milliards de francs glissants, la seule élection qui aura été tenue à bonne date par l’Alphagouvernance, avant celle du 18 octobre 2020.

Les élections communales du 4 février 2018, ont coûté 350 milliards de francs glissants, pour 5 865 000 électeurs convoqués dans 15 573 bureaux de vote, pour choisir entre 30 000 candidatures reparties sur plus de 1 300 listes de partis ou coalitions de partis politiques et listes indépendantes. Le scrutin du 4 février avait mis faim à «douze ans d’attente», les dernières sélections locales remontant en 2005 sous Fory Coco. «Si la totalité du budget électoral est disponible (…) Alpha Condé souhaite contrôler l’utilisation des fonds et exige à cet effet la justification de chaque dépense (…) Pour chaque dépense, la Ceni est contrainte d’établir un bon, le faire doublement valider par les ministères de l’Économie et des finances et celui du Budget,» avait confié une source proche de la CENI à Jeune Afrique, qui rapportait aussi le 6 décembre 2017 que : «Le budget est entièrement disponible dans un compte séquestre. La Ceni peut le décaisser au fur et à mesure en présentant des justificatifs», explique-t-on au ministère du Budget, en le justifiant par «l’obligation de gestion rationnelle et transparente de l’argent du contribuable». Pour des aigris, c’est une preuve que la CENI n’est pas digne de confiance. Woïka !

Reportées le 28 décembre 2019, le 16 février 2020, le 1er mars, les légis-tardives et le référen-drôle du 22 mars 2020, ont été organisés pendant que la Guinée avait enregistré au moins deux cas de la funeste pandémie Covid-19. Mais pour organiser le scrutin législatif avant de le coupler au référen-donne, une misère de 440 milliards de francs glissants avait été annoncée par la CENI. A date, obtenir le coût global de ce double scrutin revient à demander à un lépreux de faire monter de l’eau sur une montagne.

Et c’est à peu près la même chose, pour obtenir celui de la présidentielle du 18 octobre 2020. Mais une source proche de la CENI indique que le budget global de la Présidentielle du 18 octobre dernier s’élèverait à 350 milliards de francs glissants : 200 milliards auraient directement été gérés par la CENI, le reste par la Présidence de la République.

Pourtant, la CENI sait rapporter

Dans sa note N° 109 du 14 décembre 2020, Kabinet Cissé, le Prési de la CENI, a pris une Décision, pour créer, au sein de la CENI, «Une commission de rédaction du rapport général de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020», conformément à L’article 27 de la Loi L 044. Ledit article stipule que : «La CENI produit un rapport annuel d’activités adressé au président de la République et à l’Assemblée nationale. Ce rapport est publié au Journal officiel de la République.» Là, la CENI semble s’exécuter, même si le pourcentage est difficile à exprimer. En tout cas, l’Institution a produit au moins un rapport, non chiffré, après les légis-tardives de 2013. Mais, la CENI semble plutôt faire les yeux doux aux bailleurs de forme euh…de fonds. En fait foi, cet extrait de son «Rapport général» sur les sélections légis-tardives du 28 septembre 2013, pondu le25 février 2014, suite à «l’atelier d’évaluation et de capitalisation», tenu du 18 au 22 février de la même année. L’objectif général était «d’évaluer l’ensemble des opérations exécutées dans la conduite du processus électoral, d’en dégager les forces, les faiblesses, les contraintes et les difficultés rencontrées, pour tirer les enseignements en vue de l’amélioration de l’organisation des futures élections. De manière plus spécifique, il s’agissait pour les parties prenantes à l’exercice, d’évaluer les forces et faiblesses inhérentes à la récente expérience électorale, de faire des recommandations et d’élaborer et valider le rapport final sur les élections législatives. La perspective de l’évaluation des forces et faiblesses visait à porter un regard analytique et sans complaisance sur des points précis», notamment sur la gouvernance de la CENI. Souffrez un peu !

En clair, la CENI clamait qu’il «était attendu que la démarche aboutît (sic) à des recommandations claires et explicites en direction du Gouvernement, des acteurs politiques et des Partenaires au développement de la Guinée pour une organisation réussie des prochaines élections locales.» Après de nombreuses manifestations avec leur lot de morts, de reports et de remords, ces élections locales n’ont été organisées que le 4 février 2018, douze ans après les dernières élections locales de 2005 sous la présidence de feu Fory Coco. Sauf que trois ans après ces sélections communales et communautaires, l’installation des conseils dans les 579 quartiers et les 3 842 districts que compte la République de Guinée à ce jour peine à s’opérer, à cause des petits calculs de l’Alphagouvernance qui cherche à imposer ses chefs de quartier en lieu et place des élus du peuple. Mais passons !

Pour charmer les partenaires techniques et financiers, la CENI, dans sonévaluation exhaustive du processus des élections législatives de 2013, a dressé un tableau qui était supposé «servir de levier à toutes les projections de la CENI dans le futur». Mon œil ! La CENI peine à faire fonctionner son site inter-niet. Celui-ci est non fonctionnel (le 5 février), pour « défaut de paiement.»

Les prouesses d’Alpha Grimpeur

Alpha Grimpeur, jadis opposant démocrate et proie des dictatures de Sékou Tyran et de Fory Coco, s’est offert un troisième mandat en faim 2020 au prix de plus d’une centaine de morts, parmi ses opposants. Plus que la pandémie de Covid-19, qui aurait officiellement fait 84 décès en Guinée (à la date du 4 février 2021), pour un total de 14 629 confirmés contre 14 301 guéris. Malgré tout, Alpha Grimpeur se félicite de son bilan 2020. «En dépit de tout cela, nous avons pu organiser trois élections, sans le moindre concours financier extérieur. Ce qui est une expression éloquente de notre souveraineté et de notre indépendance nationales (…)», disait-il dans son laïus expliquant son slogan chipé à feu Bâ Banqueroute, «Gouverner autrement». Alpha Grimpeur le sait. Pour ses coronables dépités, sa nouvelle constitution et son mandat de trop, il ne pouvait pas à s’attendre à de l’aide internationale, notamment européenne, parce que la Guinée a jusque-là refusé de mettre en application les multiples recommandations de l’Union européenne dans le cadre de l’organisation de ses élections. Ce n’est donc pas pour rien que la Guinée n’a formulé aucune demande à l’UE, qui s’est abstenue de participer au financement des élections de 2020 : légis-tardives et référen-drôle de mars et Présidentielle d’octobre. La Petite Cellule Dalein Diallo, chef de file de l’opposition guinéenne, l’avait perçu en prélude à la sélection de 2015, non ?

Mais, puisque le Prési Grimpeur a dit dans son laïus sur «gouverner autrement», qu’il n’a pas été élu «pour servir la cause d’une élite, mais pour répondre aux aspirations légitimes du peuple de Guinée, qui se résument à une gouvernance plus équitable, judicieuse et vertueuse à savoir: la justice sociale, l’égalité des chances, la culture du mérite et de l’excellence». Gageons qu’il va sévir. Peut-être que son Gouverner autrement pourrait commencer par un mini contrôle à la CENI, ne serait-ce qu’une revue du budget des dernières sélections.

En attendant, sa gouvernance du 3è mandat ne s’annonce pas bien. La reconduction de ses ministres façon Djénab «Nabayagate» Dramé, soupçonnée d’avoir détourné quelque 200 petits milliards de francs glissants (environ 20 millions d’euros) ne rassure pas. Pas plus que celle de Mariama Camara, la nouvelle patronne de notre commerce, condamnée le 29 juin 2018 en Belgique pour corruption, avec son acolyte, un certain Ibrahima Cas-Sorry Fofana. Pire, le Grimpeur a servi aux Guinéens une pléthore de ministres. Or, comme l’a dit récemment Karamo Mady Camara, le juriste et analyste politique, «dans une situation de difficultés économiques, il aurait mieux fallu réduire l’équipe gouvernementale pour minimiser les charges de l’Etat».

Mamadou Siré Diallo