Brouillage des ondes, retrait d’Espace FM et TV, Djoma FM et TV et Evasion FM et TV des bouquets de distribution d’images Canal+ et StarTimes notamment, restriction d’internet, affaire de redevance… La presse guinéenne est l’objet d’un un musèlement terrible depuis plus de trois semaines. Nous avons causé avec Ibrahima Sory Traoré. Le dirlo Ndimba FM interpellé pour une histoire de redevances décrit une situation inquiétante.

Le Lynx : Le 11 décembre, l’Autorité de régulation des postes et télécommunications, ARPT, vous a notifié le retrait de votre fréquence sur trois mois si vous ne payez pas vos redevances. Comment aviez-vous accueilli cette lettre ?

Ibrahima Sory Traoré : On accueille toujours mal ce genre d’information, parce que c’est une atteinte à la liberté de la presse. Ces jours-ci, les autorités retirent des radios et des télés des bouquets Canal+, StarTimes. Elles ont muselé l’accès aux réseaux sociaux, brouillé aussi les ondes de plusieurs radios. Le 11 décembre, l’APRT nous a envoyé un courrier par voie d’huissier, pour dire que nous n’avions pas payé la redevance de 2023 et qu’il nous retire la fréquence. Mais, il y a quelque chose qui n’a pas été dit. Ils ont fait injonctions à la Haute autorité de la communication, HAC, pour nous faire cesser de diffuser. C’est-à-dire, on devait cesser d’émettre depuis le 11 décembre. Et progressivement, dans trois mois, l’ARPT va nous retirer carrément la fréquence. A notre étonnement, parce que nous avions payé toutes les redevances. Nous avions eu la fréquence en novembre 2021. A l’époque, nous leur avions dit qu’on n’allait pas payer la redevance de 2021, puisque nous n’avions pas exercé. L’ARPT nous le refuse, disant que la loi a prévu de payer. Donc, nous avions payé pour 2021, tout comme 2022 et 2023, avec accusé de règlement de l’ARPT. A deux ans d’exercice, nous avons payé trois ans de redevance. Donc, on ne doit rien à l’ARPT.

Nous sommes très consternés, ce n’est pas la meilleure façon de nous avoir.

Quels sont les préjudices du retrait de votre fréquence pour votre entreprise ?

Les médias sont des entreprises. Supposez que je n’ai pas payé la redevance annuelle (7 millions de francs guinées), pouvez-vous fermer une entreprise à cause de 7 millions, pendant qu’elle emploie et paye 15 Guinéens ? Sans compter les frais de location, de l’électricité, etc. C’est tout un secteur qu’ils sont en train de tuer. Nous avons saisi un avocat et nous avons répondu à l’ARPT par voie d’huissier. On ne va pas s’arrêter là. Nous avons envoyé toutes les pièces justificatives. Notre avocat a rencontré le président de la HAC qui dit qu’il ne va pas donner suite à l’injonction de l’ARPT, parce que c’est une affaire financière.

Pourquoi la mise en demeure ?

On ne peut pas expliquer ce qui arrive à la presse. On a dit à Canal+ et à StarTimes de retirer des médias de leurs bouquets, qu’ils auraient fait des atteintes à la sécurité nationale. On ne nous dit pas ces atteintes à la sécurité nationale. En quoi des journalistes, des médias, pourraient menacer la sécurité nationale ? La radio Ndimba appartient au Groupe Guinee7.com et à Guinee7, nous avons une ligne éditoriale qui n’est pas souvent bien appréciée par les autorités. Mais, c’est notre ligne éditoriale.

Vous pensez que la presse privée est menacée dans sa globalité ?

Absolument, c’est cela le contexte, nous sommes dans la chaîne. Ndimba FM est la dernière à être inquiétée, nous ne menaçons pas la sécurité nationale, nous n’avons pas d’émissions talk-show. Notre émission politique est matinale, où les auditeurs appellent pour donner leurs opinions sur des sujets. Nous avons aussi notre éditorial quotidien, diffusé après le journal de 7 heures, nous pensons qu’on veut donc casser la plume d’un certain Ibrahima Sory Traoré.

Peut-on dire que la HAC a accompagné le gouvernement dans le musèlement de la presse ?

Je pense qu’avec cette attitude-là, on ne pourrait pas dire que la HAC a œuvré pour la liberté de la presse.

La Charte de la transition stipule qu’aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains. Comment voyez-vous la HAC dans tout cela ?

Cela dépasse tout le monde, ce n’est pas le rôle de la HAC d’agir ainsi. Personne n’a compris la HAC et son motif de sécurité nationale. Je pense qu’on a fait faire la HAC, pour donner un peu de la forme à la chose. On ne peut pas comprendre cette position, franchement. On ne peut dire que vous avez fait atteinte à la sécurité nationale mais qu’on vous laisse tranquille. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas sérieux. Aucun article de la loi sur la HAC ne dit qu’elle peut sortir un média de Canal+ ou de StarTimes. Non ! Par contre, elle peut vous retirer votre agrément.

Les associations de presse et le Syndicat des professionnels de la presse de Guinée, (SPPG), annonçaient le 4 décembre des actions, pour pousser le gouvernement à renoncer aux atteintes à la liberté de la presse. Mais il y a eu un quiproquo entre les deux parties…

Je pense qu’il y a une crise de confiance entre les patrons de presse et le SPPG. Quand le gouvernement avait brouillé les ondes et restreint des sites d’informations tels que Guinee7, on avait fait une journée sans presse. Lorsqu’on a dressé le bilan des manifestations de riposte, on s’est rendu compte que certains patrons de presse n’ont pas joué franc jeu.

Le problème est que les patrons de presse pensent qu’il faut préserver les entreprises, parce ce que pour eux, le pouvoir est très fort et est en train de faire fermer carrément les entreprises de presse. De l’autre côté, le SPPG estime qu’il faut aller avec plus de force, d’où le quiproquo. Le 11 décembre, nous n’avions pas observé la journée sans presse, au nom de la liberté que nous avons vis-à-vis de tout cela. Nous ne comprenions pas grand-chose et nous ne pensions pas que c’était la meilleure des choses. Pour nous, il faut lutter, il faut vraiment lutter afin qu’on se fasse respecter. Il faut que les médias soient responsables, que les patrons de presse se fassent respecter. En septembre dernier, des patrons de médias ont fait des démarches pour fêter le deuxième anniversaire de l’avènement au pouvoir du Comité national du rassemblement pour le développement, CNRD. Je respecte toutes les opinions, mais nous, nous n’avions pas participé à cette célébration.

Vous pensez que les gens ont pété les plombs ?

Si ce n’est pas cela, c’est tout comme. Les gens revendiquent la liberté de la presse, mais ils ne savent pas comment la maintenir. Il y a des choses non négociables, telles que la liberté de la presse et d’expression.

Récemment, le site Guineematin.com a été restreint durant deux mois, voire plus. Selon l’administrateur du site, c’est l’absence d’un front commun contre les agissements des autorités, qui fait qu’on se retrouve aujourd’hui dans cette situation. Qu’en dites-vous ?

Il n’a pas tort. Je suis le vice-président de l’Association guinéennes de la presse en ligne (Aguipel) à laquelle est affilié Guineematin.com, mais on a tout fait à l’époque, pour que les autres nous accompagnent, en vain, on n’avait pu avoir ce front commun. Il y a un adage qui dit que quand tu vois un oiseau sur le champ de ton voisin, il faut le chasser, car demain, il se posera sur ton champ.

Pour la liberté de la presse, faut-il intensifier le combat, ou faut-il observer une pause, comme le veulent les organisations de la presse et le SPPG ?

Non. Je pense que la meilleure façon de lutter contre les prédateurs de la liberté de la presse et d’expression en Guinée est de continuer à travailler, à dénoncer. Les critiques aident à mieux faire, si vraiment on veut bien faire les choses.

Votre dernier mot ?

La presse privée traverse une période pire que celle de vache maigre. Je ne sais pas ce qu’on veut faire de nous. Peut-être, ils veulent qu’on arrête de faire la presse, pour nous donner un autre métier. Je ne sais pas ce que moi je pourrais apprendre, à mon âge-là. Ce n’est la presse qui a créé la crise, nous sommes qu’une courroie de transmission, nous prenons l’information et la donnons aux lecteurs, téléspectateurs, auditeurs et internautes. Des gens gèrent nos affaires, nos patrimoines, il faut qu’ils nous rendent des comptes. On ne peut parler de droits de l’homme, sans parler de la liberté d’expression et d’opinion, de la liberté de la presse, ce sont des droits fondamentaux. Je sais qu’on n’est dans une démocratie, puisqu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs, on nous a dit qu’on aspire à la démocratie, on nous a fait croire qu’on va nous donner plus de démocratie. Mais le minimum, dans un régime, c’est la liberté d’expression, la liberté de la presse. Qu’on nous laisse donc travailler.

Interview réalisée par

Mamadou Siré Diallo et

Yaya Doumbouya