Depuis l’explosion du principal dépôt d’hydrocarbures à Kaloum le 17 décembre dernier, une crise de car-brûlant frappe le bled. Se déplacer tant à Cona-cris qu’à l’arrière bled devient extrêmement ardu.

Obtenir de l’essence ou du gasoil dans les stations sévices s’apparente désormais à un véritable parcours du combattant. Les faits sont flagrants. La vente d’essence dans les stations-service a repris le 23 décembre. Deux semaines après, le calvaire s’accentue chaque jour. Les embouteillages aux carrefours et ronds-points ont cédé la place à d’immenses files d’attente qui serpentent le long des axes routiers. Teufteufs, motos, tricycles sont tous en quête de l’or noir, à longueur de journée. La situation affecte le travail de plusieurs jeunes dont les conducteurs de mototaxis.

Vendredi 5 janvier, un tour dans quelques essenceries de Kipé, commune de Ratoma, démontre la crise. Les consignes sont claires : 5 litres pour les motos, 25 pour les voitures, les bidons toujours interdits. Seulement voilà, des essenceries du coin sont fermées pour cause de « rupture de stock ». Les citernes venues de la Sierra Leone sont complètement épuisées, la station de Kaproro-rails, zone Prima-Center attend d’être ravitaillée pour reprendre sévices. Les rares stations qui servent de l’essence sont envahies de conducteurs. A Kipé, les files d’attente peuvent atteindre le kilomètre par endroits.

Un pays à l’arrêt

A la station-service en face du Lycée Albert Camus de Kipé, les agents de la Société nationale des pétroles sont fermes : « Hors de question de parler à la presse. Les journalistes nous embêtent trop ». Les flics font le nécessaire. Ils maintiennent l’ordre et la gestion des arrivées. Mamadou Aliou Diallo est conducteur de mototaxi, il fait la queue depuis 6h 45. Après 8 heures d’attente, il est sur le point d’être servi. Sa souffrance ? : « J’ai beaucoup souffert. Je n’ai rien mangé depuis le matin, de l’eau seulement. J’ai besoin de huit litres, mais je ne pourrai pas avoir plus de cinq. Comme la sécurité fait le boulot, c’est bien. La ligne se respecte, pas de pagaille et personne ne se plaint. Avec ce peu d’essence, je ne pourrai pas rouler plus de deux jours et je serai obligé de refaire face à la même galère ». Il demande aux autorités d’user de toutes leurs relations, de toutes leurs forces pour la construction du nouveau dépôt d’hydrocarbures.

Mamadou Saidou Bah a fait la queue à Cosa, Bambéto avant d’atterrir à Kipé, à la station du Lycée Albert Camus. Pour lui, le pays est à l’arrêt : « Partout, les stations-services ne servent pas. S’il n’y a pas de carburant, rien ne bouge. Ici, j’ai trouvé que la file a atteint le Centre-émetteur. Jusqu’à présent, je n’en ai que fait la moitié. C’est difficile, dès que tu bouges, quelqu’un prend ta place. A partir de 16h, tu risques de ne plus être servi et de perdre tout le temps passé dans le rang. » Il se dit inquiet, puisqu’il a acheté sa moto à crédit (13 millions gnf), pour un payement échelonné. Il doit rembourser 750 000 francs guinéens chaque deux semaines. « J’ai la moto depuis quatre mois. Si je ne respecte pas mes engagements, je risque d’avoir des problèmes. » Avec 5 litres, il n’atteindra pas ses objectifs. Il va convaincre son créancier de revoir son contrat, au risque de perdre sa moto. « J’espère qu’il comprendra ».

Rupture ou refus ?

La pompe essence de Kaporo-rails (Prima center) est fermée depuis le jeudi 4 janvier, à midi. Ses agents disent être en rupture après avoir vendu les 10 000 litres obtenus deux jours auparavant. Malgré tout, les détenteurs d’engins attendent depuis des heures, espérant être servis. Dans la matinée, la file d’attente avait atteint le niveau de la RTG (Radio-Télévision-nationale), près d’un kilomètre.

Un refus de la part des gestionnaires, accuse un client. Thierno Bah de la station du Lycée Albert Camus jure que toutes les stations sont ravitaillées en carburant et dénonce une « mauvaise foi » des gestionnaires de stations. Selon lui, ceux qui ne servent pas ne seront pas ravitaillés.  Au moment où nous quittions les lieux, une citerne de 40 000 litres de gasoil s’apprêtait à dépoter son stock.

Une situation pire à l’intérieur du pays

La crise de car-brûlant affecte les villes et villages de l’arrière-bled qui en souffrirait davantage. A Timbi-Madina, dans le buisson de Pita, la file d’attente a atteint un demi-kilomètre. Au finish, pas de carburant. A Pita ville, les exploitants des stations demandent aux usagers de la route de patienter jusqu’au dimanche 7 janvier pour s’offrir la denrée rare. Dans certains villages de Pita, le litre d’essence se négocie entre 20 000 et 25 000 francs glissants. Malgré l’interdiction des autorités. Comme pour dire que le malheur des uns fait bien le bonheur des autres.

Abdoulaye Pellel Bah