La région fait face à une pénurie de car-brûlant depuis deux semaines. Le trafic vers le Mali, frappé par une crise inédite du car-brûlant, est à l’origine de la situation. Les autorités locales ont commencé à sévir contre les « contrebandiers ».
La Guinée et le Mali, « deux poumons d’un même corps », respirent mal. Le car-brûlant se fait rare en Haute-Guinée, frontalière du Mali, frappé par une crise depuis plusieurs semaines. La crise dans la région est entretenue par la contrebande. À Mandiana, Kankan et Siguiri, le car-brûlant se fait si rare que les files d’attente dans les rares stations-sévices étaient devenues interminables, le 30 octobre. Le marché noir et le trafic prospéraient, en dépit de la mise en garde des autorités et de la sensibilisation des religieux et prédicateurs. Le litre, sur le marché noir, se négocie entre 30 000 et 80 000 Gnf. Les frustrations montent, poussant les autorités du coin à réagir.
La Police nationale a annoncé qu’une opération menée par le Commissariat central de Siguiri, à travers la Brigade spéciale d’intervention de la police (BSIP), le 28 octobre, a saisi un camion « frauduleusement » chargé de 250 bidons de gasoil dans la localité de Danka, buisson de Siguiri. Selon elle, le chauffard, le convoyeur et le camion ont été mis à la disposition du commissariat central, afin d’approfondir les enquêtes.
En attendant, la pénurie demeure dans une région où la desserte en électricité fait défaut et où le car-brûlant est source incontournable pour faire tourner les activités économiques. Au moins neuf présumés contrebandiers ont été présentés à la presse le 29 octobre, au commissariat central de Siguiri.
Le pro-crieur de la République près le tribunal de première instance de Siguiri, Ibrahima I Cas-marrant : « Pour l’heure, neuf personnes ont été interpellées dont deux pompistes. Il faut que tout le monde s’implique. Siguiri ne mérite pas cette crise. Il y a tellement de stations qu’on ne devrait pas connaître cela. Il y a des individus qui veulent se faire de l’argent sur le dos des pauvres », a-t-il déclaré. Les accusés sont embastillés en attendant leur procès. « Nous allons demander au tribunal de saisir les véhicules utilisés dans ce trafic au profit de l’État », martèle le pro-crieur.
La Sonap déplore
Le pro-crieur invite le populo à la vigilance et à dénoncer tout habitant qui stocke du car-brûlant à domicile. « On ira casser la porte et saisir le carburant. Ceux qui stockent le carburant ou le revendent illégalement seront poursuivis pour mise en danger de la vie d’autrui », prévient-t-il.
Joint par votre satirique le 31 octobre, un responsable de la Société nationale des pétroles (Sonap), sous couvert d’anonymat, rappelle que la distribution et l’approvisionnement du car-brûlant sont les missions assignées à la société. Il jure, la main sur le palpitant, que la Sonap ne manque poing de produits pétroliers et que l’approvisionnement se poursuit à travers tout le bled. « Il n’y a pas de crise à la Sonap. Pourquoi seule la Haute-Guinée est affectée ? Ce sont des gens qui trafiquent le carburant pour en revendre très cher au Mali. Si des Guinéens n’ont pas de pitié de leurs frères, même si on parle de changement, on n’ira nulle part. Grâce à l’implication des forces de défense et de sécurité, il y a aujourd’hui moins de files d’attente dans les stations-services. Les gens y faisaient la queue pour prendre le carburant et l’envoyer au Mali et ailleurs. Des Guinéens étaient prêts à exporter illégalement le carburant, après on dit qu’il y a une crise », s’offusque-t-il.
Les bidasses dans le coup ?
À Mandiana, 59 bidons d’essence ont été saisis par des bidasses à Sidikila, près de la frontière malienne. Le car-brûlant appartenant à des maraîchers serait destiné à l’arrosage de leur potager, mais les bidasses les prennent pour des contrebandiers. Un témoin interrogé par Mediaguinee.com : «Nous avions acheté 59 bidons d’essence à Siguiri pour arroser nos jardins. Arrivés à Sidikila, des militaires ont arrêté notre véhicule. Ils ont tout envoyé à leur base. Quand nous avons voulu négocier, un soldat nous dit que c’est fini. Ils ont partagé les bidons entre eux, en ont revendu aux villageois et envoyé l’argent à leur supérieur. Sans carburant, nous ne pouvons pomper l’eau. Toutes nos plantations sont gâtées. Nous demandons simplement que notre argent nous soit restitué.» Joint par le con(.)frère, le colonel Sandey Touré, le commandant du camp militaire de Mandiana, déclare: «J’ai ordonné à mes hommes de revendre l’essence à 12 000 Gnf le litre. L’argent a servi aux besoins des troupes sur le terrain.» Un poing, c’est doux.
Sort du car-brûlant saisi
Le 28 octobre, l’érudit Cheick Souleymane Sidibé a accusé les autorités de Kankan de laisser perdurer la crise : « Il n’y a pas de crise d’essence à Conakry. La crise en Haute-Guinée n’est causée ni par le Président ni par le ministre de l’Administration du territoire. Le premier responsable est le gouverneur, deuxième, le préfet et enfin le maire. Si vous ne soignez pas cette maladie, Dieu s’en chargera. Incha’Allah !» La pénurie est telle que « qu’une femme enceinte peut faire plusieurs heures avant de rejoindre l’hôpital, ce qui conduit parfois à des drames… Les policiers et les gendarmes, au lieu de veiller à la régularité dans les stations, se livrent à la corruption. Quand ils perçoivent 400 000 Gnf, ils ferment les yeux sur le trafic. Voilà pourquoi la population souffre pendant qu’on accuse injustement le Président», argue le mollah. Les administrateurs locaux n’ont jusque-là pas réagi aux bobos du « père spirituel de Mamadi Doumbouya ».
Le 30 octobre au camp d’infanterie de Siguiri, les autorités ont lancé la vente de 1 947 bidons de 20 litres chacun, saisis des mains de contrebandiers. «Nous avons décidé de procéder à la vente de ce carburant et de verser les montants dans les caisses de l’État», explique le pro-crieur, Ibrahima I Cas-Marrant. Les sous-préfectures les plus affectées par la crise auraient été servies. «Nous avons donné 3 400 L à Maléah, 3 000 L à Mignada et 5 000 autres à Doko. Elles pourront s’en procurer à 12 000 Gnf le litre », indique le pro-crieur. Selon lui, le fric sera versé au Trésor public.
Yaya Doumbouya


