2. Illustration supplémentaire de la violation des textes
Au chapitre des élections base du respect de la souveraineté du peuple de choisir librement ses dirigeants, nous avons eu l’épisode des délégations spéciales, mises en place sur tout le territoire, en remplacement des conseils communaux et municipaux élus. Les choix ont été faits à la discrétion des autorités. Dans bien des cas, au nom du changement, on a procédé à des choix arbitraires, ouvertement basés sur l’exclusion de certains citoyens, à certains endroits du territoire…L’unique raison invoquée était la fin du mandat des élus locaux de 2018. Mais si cette raison doit être retenue, qu’est ce qui empêchait d’organiser des élections, après 30 mois de pouvoir du CNRD ? Cet acte était une preuve supplémentaire de l’existence d’un agenda caché.
- Disposition fondamentale de la Charte de la Transition passée à la trappe avec l’Avant-Projet de Constitution
L’Article 46 de la Charte de Transition stipule : Le Président et les membres du Comité National du Rassemblement pour le Développement ne peuvent faire acte de candidature ni aux élections nationales ni aux élections locales qui seront organisées pour marquer la fin de la Transition.
Or, dans l’Avant-Projet de Constitution, cette disposition fondamentale visant à prévenir l’usage de la force pour conquérir et conserver le pouvoir, a été totalement ignorée.
Comme on le voit, la mention faite dans l’article 46 a été balancée par-dessus bord dès que l’occasion s’est présentée. On a ainsi compris que nous sommes toujours dans la continuité des pratiques consistant à faire de belles proclamations, la main sur le cœur, au début du règne et ensuite à se débarrasser dès que pôssible de toutes les dispositions gênantes. La méthode est vieille comme l’histoire de la Guinée. C’est celle qui inspire les référendums de troisième mandat ou de changement non nécessaires de constitution, pour se cramponner au pouvoir, coûte que coûte, en Guinée, comme ailleurs en Afrique. Les promesses des dictateurs n’engagent que ceux qui y croient.
La meilleure illustration de ce triste constat est le fait qu’à date, la composition nominative du CNRD est inconnue ! Malgré toutes les interpellations de toutes parts, la junte n’a jamais voulu rendre public sa composition. C’est dire donc que dans leur esprit, personne parmi eux n’était concerné par l’Article 46 de la Charte de la Transition !
Si le CNRD avait réellement l’intention de respecter le principe de sa non-participation aux futures élections, pourquoi ne pas l’avoir prévu dans les dispositions transitoires finales qui sont pourtant présentes dans l’Avant-Projet de Constitution ?
- La visite médicale d’aptitude
L’examen médical d’aptitude physique et mentale des candidats à l’élection présidentielle qui figure en page 11, a été emprunté à la Constitution de 2010.
Dans cette affaire, nous sommes en plein dans les textes bien rédigés et qui, dans la pratique, sont vidés de leur contenu. En effet, à l’élection de 2010, il y avait 24 candidats dont aucun n’avait été recalé pour raisons médicales. Plus grave, aucun candidat n’a eu connaissance des résultats de son examen d’aptitude ! Cependant, nous avons appris de façon informelle qu’il y avait parmi nous, 6 candidats qui auraient dû être écartés !
Dans le contexte de cette nouvelle constitution qui autorise les candidatures de 80 ans, ce point est encore plus crucial, si on ne veut pas imposer à la Guinée la régression et le règne de clans obscurs, à cause de présidents malades ou atteints de sénilité. On se souvient du calvaire vécu par le peuple de Guinée entre 2002 et 2008…
Dernière minute – Constitution – Version 2 – Nous lisons :
Article 46 – … Tout candidat à l’élection présidentielle est tenu d’être présent sur le territoire national, depuis le dépôt de sa candidature jusqu’à la proclamation des résultats définitifs, sauf cas de force majeure dûment constaté par la Cour constitutionnelle.
Cet ajout se passe de commentaires, tellement la volonté d’écarter d’office certains candidats est flagrante ! C’est clair comme de l’eau de roche ! Les exilés politiques, craignant à juste titre pour leur sécurité et même pour leur vie sur le territoire, ne peuvent pas être candidats, même si par ailleurs, ils remplissent toutes les autres conditions. Ce rattrapage a le mérite de dévoiler ce qu’on pouvait soupçonner : la Constitution, plutôt que d’être orientée pour l’intérêt général, cible positivement ou négativement des individus…bien connus sur la scène politique guinéenne ! Depuis que l’affaire de la limitation d’âge a été âprement discutée en 2010, nous n’avons cessé de mettre en garde contre les constitutions basées sur la situation particulière d’individus.
IV- Analyse de l’avant-projet de constitution
- La forme
Dans la forme, ce qui frappe dans ce texte, c’est la prédominance du flou, des vagues généralités, de l‘imprécision, du verbiage pseudo-humaniste, pour cacher les intentions véritables des auteurs pour le futur de la Guinée. Pour tout dire, le texte est caractérisé par le manque de transparence, ouvrant la voie à toutes les interprétations et toutes les manipulations, en toute « légalité », après son adoption. Surtout si en plus, c’est l’usage de la force qui prédomine.
2. Les nouveautés de la Constitution du CNRD
Ce qu’on attend généralement d’une nouvelle constitution, ce sont des avancées pour les libertés, le progrès social, la justice, la sauvegarde du patrimoine public, la séparation des pouvoirs et la correction des dispositions antérieures dépassées. Si on s’inspire d’exemples étrangers, surtout hors d’Afrique, il faudrait au moins s’assurer qu’ils sont compatibles avec les conditions concrètes de notre pays, sous-développé, très attardé, corrompu, enfoncé dans une décadence sans fin. Or, cet Avant-Projet de Constitution, au lieu de continuer la marche en avant du peuple de Guinée vers un Etat de droit digne de ce nom, ramène la Guinée à des dizaines d’années en arrière. Tous les acquis démocratiques depuis 1990 sont pratiquement anéantis.
- Un sénat (Articles 108 à 113)
Ainsi, l’Avant-Projet gratifie la Guinée d’un Sénat. Mais on ne nous dit même pas combien aurons-nous de sénateurs ! Comme aux Etats-Unis d’Amérique, nous aurons donc un système bicaméral : la chambre des députés et le sénat.
Nous savons tous ce que représente aujourd’hui en Afrique et particulièrement en Guinée, l’Assemblée des députés : une coûteuse institution, juste bonne à servir de chambre d’enregistrement des volontés du pouvoir exécutif, au lieu d’être une force de propositions positives, de contrôle et de contrepoids d’un pouvoir exécutif omnipotent. Le CNT du CNRD en donne une parfaite illustration. Le pire exemple que nous ayons probablement en Afrique est la monstrueuse chambre de députés de la République Démocratique du Congo dont chaque membre se tape 30 000 Dollars américains par mois ! Tout ceci dans l’un des pays les plus pauvres, les plus corrompus du monde et le plus pillé de ses richesses minières !
Un sénat ne sera qu’un fardeau supplémentaire pour le budget de l’Etat, uniquement destiné à « nourrir » des auxiliaires du pouvoir exécutif, dans le cadre d’un partage du gâteau. Le peuple, particulièrement la jeunesse, ploie déjà sous le poids écrasant d’un Etat aux mains d’une bourgeoisie militaro-bureaucratique qui absorbe la quasi-totalité des richesses du pays. Dans ces conditions, un sénat non seulement n’apportera rien au développement du pays, mais ne fera qu’aggraver cette situation insoutenable, surtout pour des Etats africains moribonds, en faillite non déclarée.
Cette deuxième chambre est d’ailleurs gratifiée d’un rôle placé sous le signe de la confusion. Dans ses compétences, il est dit : « Le Sénat est gardien des us et coutumes, des valeurs morales et traditionnelles ». Peut-on être plus vague ! Ainsi, sous couvert d’une disposition aussi vide, on pourra justifier l’injustifiable.
Nous sommes des Africains et fiers de notre histoire, mais nous ne pouvons pas oublier que depuis la défaite et la destruction de l’Egypte pharaonique, les élites dirigeantes africaines ont utilisé le concept de sacralisation du pouvoir pour accepter la Traite Négrière ainsi que l’esclavage qui était inconnu en Egypte ancienne. Avoir des dirigeants qui ont droit de vie et de mort sur n’importe quel citoyen a été hélas une pratique de nos souverains féodaux. C’est cette oppression et les énormes souffrances endurées par nos peuples, qui ont ouvert la voie à la conquête européenne. On voit bien où veulent en venir les dirigeants africains qui clament que nous n’avons pas besoin de la démocratie.
Sur le même registre, on notera pour le déplorer, l’insistance des auteurs du texte à parler de « langues nationales », comme si une seule langue parlée sur le territoire guinéen était propre à la Guinée ! Notre pays, comme la plupart des autres Etats africains actuels, n’est que le résultat d’un découpage colonial ne datant pas de plus de 120 ans, à côté de l’histoire de l’Afrique qui en a au moins 10 000 ! Pourquoi ne pas avoir parlé de langues africaines ? L’usage et le renforcement du contenu scientifique de nos langues s’impose mais pour cela, il faut s’appuyer sur la coopération régionale et l’Alphabet International de Transcription des Langues Africaines qui a fait ses preuves.
Une nation ne peut s’arrêter aux mots et ne peut pas se décréter. Elle doit se construire dans les faits, dans tous les domaines de la vie et surtout dans les cœurs.
- La Commission Nationale d’Instruction Civique et des Droits de l’Homme (Articles 177 à 179)
L’ancienne Institution nationale indépendante des droits humains dans la Constitution de 2010 est remplacée par une Commission Nationale d’Instruction Civique et des Droits de l’Homme.
La grande nouveauté est l’insistance sur ce qui est présenté comme une éducation civique et citoyenne, la vulgarisation de la Constitution, etc.
Or nous savons tous le rôle joué dans l’imposition de l’acceptation de la dictature du Parti-Etat sous le PDG, avec les cours obligatoires d’idéologie, le bourrage des crânes et le lavage de cerveau d’un autre âge. On se souviendra longtemps de l’obligation faite aux enfants d’apprendre par cœur les écrits du dictateur, alors que l’auteur lui-même n’y croyait pas.
L’enseignement étant obligatoire jusqu’à 16 ans, pourquoi ne pas s’en tenir aux cours d’éducation civique ? Cette approche est une négation du pluralisme démocratique et une promotion de la pensée unique.
- Les collectivités décentralisées (Articles 187 à 190)
L’organisation territoriale, subit des modifications placées sous le signe de la plus grande confusion. Ainsi, on nous parle désormais de « provinces » sans préciser le contenu, les limites, les caractéristiques.
On nous parle aussi de « Régions naturelles » sans nous dire ce qu’elles représentent. On imagine bien qu’avec un tel texte, avec la future majorité automatique que le pouvoir veut se donner les moyens de fabriquer, nous allons certainement assister à des diktats sur la définition et les limites des régions naturelles. Pourtant, personne aujourd’hui de censé ne peut contester l’existence de 4 régions naturelles en Guinée : La Basse Guinée, la Moyenne Guinée, la Haute Guinée et la Guinée du Sud-Est. Les cartes de 1958 sont là. Mais nous savons pourquoi et comment le dictateur Sékou Touré avait procédé au dépeçage administratif du territoire. A-t-on besoin d’une « loi » pour reconnaître cette réalité historique de 4 régions naturelles ? Qui peut nier que le vote de l’électorat guinéen est communautaire à 97% ? Nous avons encore du chemin à faire avant de parler sérieusement d’une nation guinéenne !
Mais il est clair que cette disposition de Collectivités décentralisées permet d’évacuer maladroitement, les propositions très réalistes, précises et structurées que nous avons faites pour une Régionalisation avancée et dont la junte et ses supporters ne veulent absolument pas entendre parler. C’est pourtant la seule solution permettant à notre pays de sortir du communautarisme qui domine la vie politique depuis l’indépendance et qui est responsable de son retard actuel dans tous les domaines. L’aboutissement de la Régionalisation avancée dans les micro-Etats actuels, moribonds et sans avenir, sera la constitution d’un véritable Etat Fédéral d’Afrique Noire.
- Les Autorités administratives indépendantes (Article 184)
L’Avant-Projet de Constitution dit : « Les Autorités administratives indépendantes sont des Institutions de l’Etat investies d’une mission de protection des droits fondamentaux et de régulation économique des secteurs considérés comme essentiels et pour lesquels, le Gouvernement n’envisage pas d’intervenir directement. »
Voilà une parfaite illustration de ce qui caractérise le texte en revue : le flou, l’imprécision, la volonté de créer à tout va, des institutions supplémentaires coûteuses et parfaitement inutiles, comme pour élargir la bouffe, dans un pays déjà ruiné.
A suivre…
Fait à Conakry, le 13 août 2024
Le Bureau Exécutif de l’UFD
Transmis par la Cellule de Communication de l’UFD